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certains lieux, « Constantinople vaut un empire, » disait Napoléon, et on le pense encore. Mettez Rome à Naples ou à Milan, et il n’y a plus d’histoire romaine, comme il n’y aurait plus d’Angleterre si les deux rives de la Manche se réunissaient.

C’est entre les plaines du Latium et de l’Étrurie, au-dessous des montagnes de la Sabine, que s’éleva la cité qui devait être la ville éternelle, à cinq lieues de la mer, au bord du Tibre, le plus grand des fleuves de l’Italie péninsulaire, et sur sept collines de facile défense où la mal’aria ne montait pas. Au nord et au sud, de riches contrées invitaient au pillage ; à l’est, les montagnards devaient rendre l’armée invincible en l’exerçant par des attaques peu dangereuses, mais continuelles. Placée sur la limite de trois civilisations et de trois langues, entre les Rhasénas de l’Étrurie, les Ausones du Latium, les Sabelliens de la chaîne apennine, Rome se trouva, par sa situation, le grand asile des populations italiennes. Elle fut la ville de la guerre, car partout autour d’elle étaient des étrangers, des ennemis ; la cité riche en hommes, aux mœurs sévères, à la vie frugale et laborieuse, parce que son territoire ne donnait rien que par un rude travail qui, pendant six cents ans, éloigna la mollesse. Assez près de la mer pour la connaître et ne la point redouter, assez loin pour n’avoir rien à craindre des pirates grecs, volsques ou étrusques, elle n’était ni Sparte ni Athènes, ni exclusivement maritime ni exclusivement continentale. Établis à proximité des montagnes, des plaines et de la côte, les Romains, sans ressembler aux pâtres, aux laboureurs, ou aux marins, réunissaient ces trois caractères des races italiennes, de sorte qu’il n’y eut pas entre eux et ces peuples l’opposition de mœurs et de croyances qui aurait empêché la formation, dans la péninsule, d’un grand état fortement uni. A chacun de ses voisins, Rome pouvait, après le combat, montrer un visage connu et tendre une main amie.

De même que Rome était au milieu de l’Italie, l’Italie était au milieu du monde ancien, très exposée, par conséquent, aux attaques extérieures, mais inexpugnable s’il s’y trouvait un peuple capable d’en faire une forteresse : les Romains furent ce peuple-là. D’ailleurs les seuls ennemis à craindre, les Grecs et les Carthaginois, avaient porté leur ambition, ceux-là à l’orient, ceux-ci à l’occident. Quant aux Gaulois de la vallée du Pô, dangereux pour une incursion, ils ne l’étaient pas pour un établissement durable, au milieu de tant de villes défendues par des murailles cyclopéennes ; s’ils arrivèrent jusqu’au pied du Capitole, ce fut à la suite d’une surprise, et ce jour fut le seul où les légions aient cédé à l’épouvante. Rome eut donc le temps, avant les grands assauts de Pyrrhus et d’Annibal, de soumettre et d’organiser la péninsule. Dès lors, elle n’eut plus qu’à désigner à ses consuls sur quel point de