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dans l’empire. Pour se préserver de ces éventualités, qui, le cas échéant, n’auraient été que le juste châtiment de sa conduite égoïste, il imagina toute une combinaison de garanties à la fois matérielles et morales, dont on trouve l’exposé raisonné dans ses documens politiques, fait à plusieurs reprises sur des modèles différens. Parfois même le résumé en est présenté sur un papier à deux colonnes portant d’un côté les avantages, de l’autre les inconvéniens possibles de toutes les mesures à prendre : sorte de bilan où sont mis en regard le passif et l’actif de chaque affaire et qui termine par une résolution définitive formant comme le solde de la balance. Il affectionnait, nous l’avons déjà vu, ce procédé commercial pour se rendre compte, dans les situations critiques, des conséquences de tous ses actes[1].

Le résultat de cet examen fut que trois conditions principales lui paraissaient devoir être obtenues de la France pour qu’il consentît à s’engager dans les liens d’une nouvelle alliance. Il comptait exiger, en premier lieu, qu’avant la reprise des hostilités une déclaration de guerre authentique et solennelle fût envoyée à l’Angleterre d’une part et à l’Autriche de l’autre. Jusqu’à ce moment, en effet (on se le rappelle), malgré tant de sang français versé à Prague ou à Dettingue, la France n’avait encore agi qu’en qualité de simple auxiliaire de Charles VII, d’abord comme électeur de Bavière, et ensuite de l’empereur : à tel point qu’elle conservait toujours soit à Londres, soit à Vienne, des représentans accrédités. Cette fiction diplomatique, moins vaine qu’elle n’avait l’air, lui ménageait la possibilité de sortir à tout moment de la lutte, sans autre formalité qu’un avis donné à ses alliés ou un ordre expédié à ses généraux. Et, de fait, c’est ainsi que, lorsque Noailles, l’été précédent, avait fait repasser le Rhin à toutes ses troupes, l’envoyé de France auprès de la diète n’avait avisé la haute assemblée que par une simple notification de cette évacuation complète du territoire allemand. C’est cette facilité même de retraite qui inquiétait Frédéric, et à laquelle il voulait fermer la porte en établissant, dès le premier jour, entre la France et ses ennemis, un état d’hostilité déclarée dont elle ne pourrait être dégagée que par un traité formel, précédé d’une négociation qui préviendrait toute surprise.

Un second engagement devait être réclamé de la France : c’était la promesse de ne pas poser les armes avant que la Prusse eût obtenu, pour prix de son nouvel effort, une extension de territoire sur les frontières de la Bohême et de la Silésie, destinée suivant Frédéric à compléter et à assurer la possession de sa première

  1. Pol. Corr., t. III, p. 35, 42, 43, 63, 66, etc.