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Cependant on a dit, au sujet des pénalités châtiant la femme adultère, des excentricités telles que je ne puis m’empêcher de les citer. Alexandre Dumas fils dit dans son livre, la Question du divorce : « Dans le Tonkin et en Chine, la femme adultère est livrée à un supplice que Philyre, la mère du centaure Chiron, avait trouvé fort agréable sans doute. Il est vrai que c’était un dieu qui avait pris pour elle la forme d’un cheval. Après ce supplice, un éléphant dressé à ces exécutions saisit la femme avec sa trompe, l’élève en l’air, la laisse retomber et l’écrase sous ses pieds. » Je pourrais me contenter du texte ; il se réfute assez de lui-même. Mais cet exemple montre le système adopté pour dépeindre nos mœurs. Il est de fait qu’il y a bien moins d’éléphans en Chine qu’en France : à peine y en a-t-il deux ou trois à Pékin, que l’on va voir, par curiosité, comme les animaux des ménageries. Mais c’est de mode de faire de la Chine l’asile de la barbarie. Existe-t-il quelque part une coutume inhumaine, cruelle : Comment ! vous n’avez pas deviné dans quel pays ? C’est en Chine.

Il faudrait revenir sur ces fantaisies de l’imagination, et, ne serait-ce que par amour de la vérité, les prouver ou se rétracter.

v. — la femme.

On se représente généralement la femme chinoise comme un être amoindri, pouvant à peine marcher et emprisonnée dans son intérieur au milieu de ses servantes et des concubines de son époux. C’est là une de ces fantaisies de l’imagination qu’il faut cesser d’admettre, quoi qu’il en coûte à l’amour-propre des voyageurs.

Il en est de tout ce qu’on dit à propos de ces mœurs comme de l’écrevisse qu’un dictionnaire célèbre définissait : un petit animal rouge qui marche à reculons. Il est évidemment difficile de changer une opinion à laquelle on s’est habitué, mais devant l’évidence il faut être de bonne foi et avouer qu’on ne vous y reprendra plus. Donc l’écrevisse n’est pas rouge et ne l’a jamais été. De même, la femme chinoise marche aussi bien que vous et moi ; elle court même sur ses petits pieds, et, pour mettre le comble au désespoir des conteurs de merveilles, elle sort, se promène dans sa chaise et n’a même pas de voile pour se protéger contre les regards trop indiscrets.

Quel livre curieux, — pour les Chinois, — on composerait avec tout ce qui s’est dit sur eux ! Quel ne serait pas leur étonnement de se savoir si mal connus lorsque tant de voyageurs ont parcouru leurs villes et reçu leur hospitalité ! Mais une des erreurs qui nous