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ou c’est un pathos sans nom, ou c’est une parodie de la compassion. Mais en poésie, tout s’excuse, même le non-sens : c’est une licence. N’importe ! les plus beaux vers font triste mine quand on leur oppose la simple vérité : tel un rayon de soleil dans des décors d’opéra.

ii. — religion et philosophie.

De tout temps les religions ont existé.

Primitivement, elles constituaient le lien mystérieux qui réunit la créature au Créateur, et leurs symboles traduisaient l’adoration et la reconnaissance. Sous les formes si diverses qui expriment la sympathie de l’âme humaine pour l’esprit universel, on découvre toujours la pensée du surnaturel unie aux plus étranges pratiques. Dans ses élans vers Dieu, l’homme fait des chutes et se souvient de sa nature imparfaite. Mais il y a un premier élan qui est comme ailé. Les religions sont moins compliquées à mesure que l’on remonte le cours des âges ; elles se simplifient et tendent vers cette unité qui définit pour nous l’harmonie de la beauté. Il semble qu’elles ont dû être alors dignes de Dieu. Mais cet éclat diminue graduellement en même temps que le monde vieillit et finit par ne plus jeter que de faibles lueurs à travers les ombres qui s’allongent sur le chemin de l’humanité, comme au déclin d’un beau jour d’été.

Cette impression, je l’ai ressentie en étudiant nos vieux livres et en lisant les admirables maximes de nos sages ; je l’ai ressentie aussi en cherchant dans les livres sacrés des Occidentaux le secret de notre destinée. Il m’a paru que le grand jour de la lumière sereine avait déjà lui et que nous n’en recevions plus que les derniers et pâles reflets. Partout, je vois resplendir une vérité dont la beauté est une ; il me semble entendre un immense chœur où toutes les voix de la terre et du ciel s’harmonisent ; et lorsque, quittant l’enchantement de ce rêve, j’écoute les clameurs tumultueuses du monde devenu un chaos de croyances, l’étonnement s’empare de mon esprit, et je douterais qu’il y eût une vérité, si cette foi ne s’imposait malgré moi à ma conscience.

Nous n’avons rien à envier à l’Occident dans ses croyances religieuses, quoique nous ne nous placions pas au même point de vue. Aussi bien je ne discuterai pas sur le mérite des religions : l’homme est si petit, vu de haut, qu’il importe peu de savoir de quelle manière il honore Dieu. Dieu comprend toutes les langues, et surtout celle qui s’exprime dans le silence par les mouvemens intérieurs de l’âme. Nous possédons aussi les adorateurs par l’âme et les adorateurs par les lèvres. Les uns et les autres ne se connaissent pas ; nous avons la religion idéale, celle qui force au recueille-