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observons encore les us et coutumes du bon vieux temps. Ce sont les parens qui marient leurs enfans et ils croient, en vérité, que leur expérience n’est pas tout à fait inutile pour bien choisir la femme qui convient à leur fils.

Le mariage est exclusivement considéré en Chine comme une institution de famille ; il a pour but unique l’accroissement de la famille ; et une famille n’est prospère et heureuse que lorsqu’elle devient plus nombreuse. Dès lors, il est logique que les époux respectent une union voulue par les parens, au nom même du principe de l’amour filial.

J’ai parlé aussi de la fraternité : ce n’est pas un vain mot. Les mots sont toujours effectifs chez nous, et celui de fraternité, surtout entre frères, a une réalité vraie.

La fraternité est un sentiment qui a sa source dans la famille et y puise sa force. Il n’est donc pas étonnant que dans les sociétés où la famille a péri, la fraternité ait perdu son caractère. Il s’est substitué à sa place une sorte de sentiment qui ressemble à la résignation, — je ne crois pas qu’elle soit chrétienne, — et qui, aidé de l’habitude, finit par créer le modus vivendi entre frères. Nos mœurs sont tout à fait différentes.

L’amitié fait aussi partie de nos devoirs les plus précieux ; ce n’est pas un sentiment inutile. Les amis sont les amis, et, pour me servir des mêmes expressions que La Fontaine, je dirai que ni le nom ni la chose ne sont rares. Nous possédons même une antique formule qui se chantait autrefois et qui définit simplement les devoirs de l’amitié. En voici la traduction littérale :


Par le ciel et par la terre,
En présence de la lune et du soleil,
Par leur père et par leur mère,
A et B se sont juré une inébranlable amitié.

Et maintenant si A, monté sur un char,
Rencontre B coiffé d’un chapeau de paille grossière,
A descendra de son char
Pour marcher au-devant de B.

Qu’un autre jour B, voyageant sur un beau cheval,
Vienne à rencontrer A, chargé d’un ballot de colporteur,
B descendra de cheval,
Comme A était descendu de son char.


Voilà sans doute de l’amitié pratique, celle qui va plus loin que la bourse, ce cap que l’amitié ne franchit qu’à regret, comme si elle n’était qu’un art d’agrément.

Les exemples du dévoûment de l’amitié abondent dans notre