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donner au judaïsme de nouvelles décorations et coulisses, et le souffleur doit porter, au lieu de barbe, un petit rabat blanc ; ils voudraient verser la grande mer dans un petit bassin de papier mâché et faire endosser à l’Hercule de Wilhelmshohe à Cassel la jaquette brune du petit Marcus. D’autres veulent un petit christianisme évangélique sous signature juive ; ils se font un manteau avec la laine de l’agneau de Dieu, un pourpoint des plumes de la colombe du Saint-Esprit et des caleçons d’amour chrétien, et ils font faillite, et leur postérité signera : Dieu, Christ et Cie. Fort heureusement, cette maison ne tiendra pas longtemps, ses traites sur la philosophie reviendront protestées, et elle fera banqueroute en Europe, lors même que les succursales, fondées par des missionnaires en Afrique et en Asie, subsisteraient quelques siècles de plus… Pardonne-moi cette amertume. Moi non plus, je n’ai pas la force de porter ma barbe, de laisser crier après moi au juif et de jeûner, etc. Je n’ai pas même la force de manger de bon appétit du mazzes (pain azyme). C’est que je demeure maintenant chez un juif (vis-à-vis de Moser et de Gans), et l’on me donne des mazzes au lieu de pain et je m’ébrèche les dents. (Berlin, 1er avril 1823 ; lettre au docteur Wohlwill.)


Incontestablement un tel langage n’était pas pour lui gagner le cœur des fidèles de la synagogue et lui créer une réputation d’homme à bons principes. Cependant il se trouve que, sur ce sujet des réformes du judaïsme, Heine a été bon prophète. De toutes les tentatives de cette époque il n’est rien resté. La Revue scientifique du judaïsme, dont le mauvais style irritait le poète, expirait, à son troisième numéro, et le Comité pour la culture et la science juives rendait l’âme en 1825 par la conversion au protestantisme de ses membres les plus influens, Édouard Gans en tête. Au fond, Heine avait très bien jugé que toutes ces tentatives étaient superficielles et n’atteignaient pas le cœur d’Israël, qui était à des biens plus solides, et ce mélange de religiosité et d’esprit commercial, de philosophisme et de brocantage lui donnait dans ses jours sombres des nausées de mépris et, dans ses jours de gaité, lui inspirait des fantaisies satiriques dans le genre de celle que voici :


Lorsqu’un jour Ganstown[1] sera bâtie, quand une génération plus heureuse, sur les bords du Mississipi, bénira les palmes en grignotant

  1. Parmi les projets ébauchés à cette époque dans les cénacles lettrés du judaïsme, un des plus curieux fut le projet d’une colonie en Amérique exclusivement composée de Juifs. En 1825, un certain Mardochée Noah, juif des États-Unis, fit circuler dans toute l’Europe une sorte de prospectus d’une entreprise de cette nature, et forma de son chef un comité cosmopolite de colonisation dont Édouard Gans, précisément, était membre pour l’Allemagne.