Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui perdu dans ses perplexités et se paie de paroles vagues. Le secrétaire de l’intérieur, sir William Harcourt, dans un discours qu’il a prononcé ces jours derniers à Derby, a dit, pour la centième fois au moins, qu’on ne voulait ni annexion ni protectorat en Égypte, que le gouvernement de la reine avait toujours l’intention de quitter la vallée du Nil aussitôt que le pays serait pacifié. C’est là précisément le problème qu’on ose à peine regarder en face, tant il s’est compliqué et obscurci depuis quelques mois. Il n’est pas plus facile désormais d’aller conquérir la paix dans le Soudan que de rétablir l’ordre au Caire et dans la Basse-Égypte, où l’on se débat contre la désorganisation croissante.

Comment s’opposer maintenant aux progrès du mahdi, à cette insurrection qui envahit tout, et dégager les garnisons les plus compromises, à Khartoum, à Berber ? Le khédive, perdu dans ces complications, sentant le danger qui le menace, a réuni, ces jours derniers, un conseil extraordinaire où il a appelé non-seulement les ministres d’aujourd’hui, Nubar-Pacha et ses collègues, mais quelques-uns des anciens ministres. Il a demandé une consultation. Les ministres égyptiens ont été d’avis qu’il fallait d’abord s’occuper de rétablir à demi la position par les armes dans le Soudan, qu’il y avait une expédition militaire à tenter, et ils ont bien senti naturellement qu’on ne pouvait rien sans le concours de l’Angleterre, à qui l’on devait s’adresser. A Londres, on a délibéré aussi assez longuement. Les ministres se sont réunis à Downing-street, ils ont même appelé au conseil lord Wolseley, l’ancien commandant en chef de l’expédition anglaise en Égypte. Ce qui sortira de ces délibérations, on ne le sait pas encore ; ce ne sera pas vraisemblablement une expédition telle qu’elle serait nécessaire, non pas pour reconquérir le Soudan tout entier, mais pour refaire une situation offrant quelques garanties pour la sûreté de l’Égypte. Si l’Angleterre cependant continue à ne rien faire, si elle laisse Gordon sans protection à Khartoum, les garnisons de Berber et de Shendy à l’abandon, si elle s’arrête à la première difficulté comme elle s’est arrêtée aux abords de Souakim, il est bien clair que tout s’aggravera rapidement, la crise égyptienne ne fera que s’envenimer. Les ministres de la reine peuvent être très sincères en déclarant qu’ils ne veulent « ni annexion ni protectorat ; » on ne voit pas bien seulement d’où peut venir cette pacification que l’Angleterre, au dire de ses ministres, attend pour se retirer de la vallée du Nil.

Le fait est que cette question égyptienne est arrivée aujourd’hui à un point où tout est péril, où il n’y a pas même une apparence de solution possible tant qu’on ne sera pas décidé à quelque grand parti, et c’est dans ces conditions que l’Angleterre, toujours à la recherche d’un biais, d’un expédient, aurait récemment proposé aux divers