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pour leurs pères ; une image de prévoyance, une image de fidélité, une image de flatterie, une image de jalousie et d’orgueil, une image de cruauté, une image de fierté et de courage. Ainsi les animaux nous sont un spectacle où nous voyons nos devoirs et nos manquemens dépeints. Chaque animal est chargé de sa représentation. »

Il fallut longtemps avant que l’esprit humain se décidât à regarder les animaux comme de simples objets d’étude, sans autre préoccupation que celle du savoir. Ici comme en toutes choses, la Grèce fut la grande initiatrice du progrès. C’est aux penseurs d’Ionie que l’on doit les premières spéculations méthodiques sur les causes et les conditions de la vie. Thalès remarque que les semences des êtres vivans sont humides ; il en conclut que l’eau, ou l’humide, est le principe universel. Pour Anaximène, c’est l’air, car la respiration cesse avec la mort. C’est le feu pour Héraclite, mais un feu éternel, intelligent, et l’âme la plus sage est formée par le feu le plus sec. La conception d’Anaxagore, qui représente chaque organe comme composé de parties similaires infiniment petites, primitivement confondues dans le mélange du chaos, mérite plus d’attention ; et M. Perrier, dans un récent et remarquable ouvrage, lui trouve plus d’un trait de ressemblance avec la théorie de l’emboîtement des germes, avec l’hypothèse des molécules vivantes de Buffon, celle de l’attraction du soi pour soi de Geoffroy Saint-Hilaire, même avec la fameuse théorie de la panspermie de Darwin.

À côté des hypothèses téméraires, des généralisations sans mesure, apparaît déjà, timidement il est vrai, la véritable observation. Ainsi Alcméon de Crotone dissèque des animaux ; il compare le blanc de l’œuf au lait des mammifères ; mais il croit encore que les chèvres respirent par les oreilles. Anaxagore, d’après un récit de Plutarque, disséqua un bouc qui n’avait qu’une seule corne au milieu du front, prodige qui mettait tous les Athéniens en émoi ; le philosophe montra, par l’anatomie du crâne, que ce fait n’avait rien de surnaturel. Il eut quelques notions remarquables sur la manière dont se nourrissent les fœtus et proclama que le cerveau est le siège de la pensée ; ce qui ne l’empêchait pas d’être très convaincu que les fouines enfantent par la bouche, que les ibis et les corbeaux s’accouplent par le bec.

Dans cette revue rapide des prédécesseurs d’Aristote il convient de faire une mention spéciale de Démocrite. Le fondateur du matérialisme mécaniste ne pouvait manquer de jeter un coup d’œil pénétrant sur la nature. On lui a même fait l’honneur de croire qu’Aristote s’était enrichi, sans le nommer, de ses dépouilles ; il serait un de ceux dont, au dire de Bacon, le philosophe de Stagyre aurait étouffé la gloire, « de même que les sultans de Constantinople se débarrassaient des frères qui portaient ombrage à leur pouvoir. » Mais