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laient jusqu’au cap Horn et probablement dans le Pacifique tout entier : leur vitesse a été mesurée ; elle est égale à 670 kilomètres à l’heure environ, ce qui est très inférieur à la vitesse du son dans l’eau.

Si j’ai tant insisté sur ce phénomène, c’est pour en montrer la puissance, pour faire voir que l’éruption du Krakatoa a été l’un des plus gigantesques événemens qui aient épouvanté le monde et pour préparer le lecteur à ce qui va suivre. En voyant ces vagues immenses se promener sur toutes les mers et ces ondes aériennes faire plusieurs fois le tour de la terre, il comprendra que la force intérieure capable de disloquer une île entière, de la jeter à la mer, et de la remplacer par d’autres qui ont surgi à côté, ait suffi à la besogne plus facile de lancer verticalement une faible masse de cendres et de vapeur à une hauteur comparable à celle de l’atmosphère.

Pour avoir l’idée de cette hauteur, imaginons qu’un canon rayé, de gros calibre et fort chargé, ait lancé verticalement un obus de bas en haut avec une vitesse de 500 mètres, ce qui est une vitesse ordinaire ; cet obus monterait jusqu’à 13 kilomètres. Si la vitesse initiale était simplement doublée et égale à 1,000 mètres par seconde, il s’élèverait jusqu’à 51 kilomètres, dix fois plus haut que le Mont Blanc, et il atteindrait une couche où la pression de l’air n’est pas égale à la millionième partie d’une atmosphère. Or, il n’y a aucune exagération à admettre que la colonne de cendres sortie du cratère a eu au moins cette vitesse, et, comme la vapeur et les gaz continuaient de se détendre par leur expansion après la sortie, c’était une force qui prolongeait son effet comme celle d’une fusée et qui devait encore augmenter la grandeur du trajet. Il est donc certain que le volcan lançait au 26 août un panache formé de cendres et de vapeur d’eau partiellement condensée, faisait dans l’air une trouée verticale, dépassait l’atmosphère, formait une sorte de protubérance dans laquelle il réunissait un amoncellement de matériaux très divisés. Les plus gros retombaient autour du volcan, le reste demeurait flottant comme demeurent les nuages et la fumée, glissait latéralement, s’étalait dans tous les sens comme l’huile sur l’eau, formait une calotte supérieure, un stratus uniquement composé de poussières et de vapeur d’eau, stratus persistant, capable de diffuser les rayons, de prolonger le crépuscule, de colorer la lumière solaire, capable, en un mot, de développer les phénomènes optiques que nous avions le dessein d’expliquer. Telle est la théorie volcanique de ces manifestations. On ne saurait dire quel en est l’auteur ; la pensée semble en être venue à beaucoup de savans à la fois par la concordance indéniable des faits, par la force