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dans le palais où était conservé le trésor de l’empire. A la vérité, il avait pris la précaution de murer la porte de la chambre d’or ; mais ; « l’humeur espagnole étant de pénétrer tout et de vouloir tout savoir, » Cortez fit sonder les murs par ses charpentiers et découvrit la cachette, pleine de lingots, de bijoux, de pierres fines. Les gens de Castille se ruèrent sur cette proie magnifique : comment la garder, au vu et su de tous ? Alors Cortez conçoit et exécute un coup de force à peine croyable ; prétextant quelques entreprises des caciques de la côte sur son établissement de la Vera-Cruz, il se rend au palais avec l’élite de ses compagnons, saisit Montézuma au milieu de ses gardes, et moitié violence, moitié persuasion, il ramène l’empereur prisonnier dans le camp espagnol. Peu de jours après, pour affirmer sa dictature, il fait brûler sur la grande place les caciques turbulens de la Vera-Cruz ; pendant l’exécution, on met les fers aux pieds de Montézuma. C’était fou ; cela réussit : Diaz nous dit pourquoi. — « Certes, les curieux qui liront ceci doivent considérer les grandes actions que nous accomplîmes alors : faire échouer les navires ; oser entrer dans une si forte cité, après tant d’avertissemens du massacre qu’on nous y préparait ; avoir la prodigieuse hardiesse d’oser arrêter le grand Montézuma, roi de cette terre, au cœur de sa ville, dans son propre palais, au milieu de la multitude des guerriers de sa garde ; enfin oser brûler ses capitaines devant ses palais et le mettre lui-même aux fers tandis que s’exécutait l’arrêt. Bien souvent, à présent que je suis vieux, je m’arrête à considérer les choses héroïques que nous fîmes en ce temps. Elles me sont présentes, il me semble les voir. Et je le dis, ces hauts faits n’étaient réellement pas exécutés par nous, mais nous venaient, tout adressés, de la main de Dieu. »

Sauf l’incident des fers, la captivité de Montézuma fut douce et déguisée. Cortez, institué de sa propre autorité protecteur de l’empire aztèque, laissait au monarque déchu l’illusion du pouvoir, les jouissances du luxe, les prosternations des courtisans ; entre ses gardiens étrangers, le malheureux souverain recevait les ambassades des tributaires et écoutait les plaids de ses sujets. Dans toute la chronique de Bernal Diaz, je ne sais rien de plus attachant que le récit de cet épisode ; la figure de Montézuma s’y dessine avec des parties de grandeur, de sagesse, de générosité, qui la placent moralement bien au-dessus des cupides Espagnols. Par sa bonté et sa munificence, le prisonnier a vite fait de gagner les cœurs de ses geôliers ; tous l’adorent et le plaignent ; au spectacle de cette infortune si peu méritée, tous éprouvent une impression indéfinissable de mélancolie et de respect ; le ton du chroniqueur trahit à merveille cette impression, elle est rehaussée plutôt que diminuée par