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très péniblement affecté de n’en avoir pas été prévenu autrement que par la voix publique. La lecture du texte n’atténua pas cette impression. Les deux souverains qui se partageaient désormais la Haute-Italie s’engageaient à se garantir réciproquement toutes leurs possessions telles qu’elles étaient déterminées par des traités antérieurs. Or, dans l’énumération de ces traités qui remontaient jusqu’à celui d’Utrecht, Frédéric chercha vainement la moindre mention du traité de Breslau et de la réduction apportée, l’année précédente, aux domaines de l’Autriche par la cession à lui faite de la Silésie. Cette omission lui parut suspecte. Dès qu’on n’exceptait pas expressément la Silésie des possessions garanties à Marie-Thérèse, c’est qu’elle prétendait encore l’y comprendre ou l’y faire rentrer. De plus, les dispositions ostensibles étaient complétées par d’autres secrètes dont le mystère même était inquiétant, et il ne fallut pas beaucoup de peine à la police active et vigilante du cabinet prussien pour se procurer la connaissance d’un certain article 13, en vertu duquel le roi de Sardaigne s’engageait « dès que l’Italie serait délivrée d’ennemis, à fournir les troupes nécessaires pour assurer la sûreté des états de la reine en Lombardie, afin qu’elle pût se servir d’un plus grand nombre des siennes en Allemagne. »

« Voilà donc, s’écria Frédéric, la reine de Hongrie qui veut retirer ses troupes d’Italie pour les employer en Allemagne. Contre qui sera-ce ? Contre la Bavière ? Elle a si bien humilié l’empereur qu’elle possède son patrimoine. On peut en conclure qu’elle médite une nouvelle guerre, et ce ne peut être que contre moi… Le roi d’Angleterre, ajouta-t-il, par les engagemens pris à Breslau, devait me communiquer tous les traités qu’il ferait et n’a garde de m’ouvrir la bouche de celui-ci. La raison est claire : ce qui est forgé à Worms et ratifié à Turin renverse tout ce que le roi d’Angleterre avait stipulé à Breslau. » — Ainsi raisonnait Frédéric, ainsi raisonnait-il encore vingt ans après dans ses Mémoires, Voyait-il juste ? Était-ce la mauvaise conscience qui soupçonne toujours chez autrui les torts dont elle se reconnaît coupable ? Était-ce le génie politique qui devine l’orage dans le nuage à peine encore visible à l’horizon ? Quoi qu’il en soit, il fut confirmé dans ces craintes par la nouvelle d’un autre traité conclu presque immédiatement après entre Marie-Thérèse et Auguste de Saxe, et qui semblait en effet remettre entre les mains de l’Autriche la clé d’une des portes de la Silésie.

Mais ce qui contribua plus que toute chose à le convaincre qu’il pénétrait la pensée de sa rivale et ses projets de revanche, ce fut une démarche dont le caractère, à la vérité très provocant, semblait indiquer chez elle un redoublement de hauteur et de confiance. Marie-Thérèse n’avait jamais reconnu, on le sait, la légalité du vote