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des hommes que j’ai vus à la tête de ces deux œuvres qui se complètent, qui débutent et dont l’urgence même des maux à soulager assurera le développement.


J’arrête ici cette série d’études, car si la charité s’exerce sur différentes sortes d’infortune, elle s’exerce toujours de la même façon et je ne pourrais que me répéter indéfiniment. Pour faire apprécier l’ampleur de la bienfaisance parisienne, j’ai dû limiter mon enquête, regarder surtout vers des œuvres exceptionnelles et mettre en lumière les actes de « ces grands aventuriers de la charité, » comme a dit Edmond Rousse, qui s’en vont droit devant eux, le cœur ouvert à toutes les souffrances, les bras tendus à toutes les misères, les yeux fermés à toutes les fautes, ramassant au hasard les enfans abandonnés et les femmes perdues, recueillant les vieillards, relevant les blessés et les malades, n’ayant pour les nourrir que la quête et l’aumône, les mains vides chaque matin et chaque soir les mains pleines, créanciers impitoyables de la Providence, dont aucun doute n’a jamais troublé la foi intrépide et dont aucun mécompte n’a jamais châtié les saintes témérités[1]. » En choisissant, pour ainsi dire, des types particuliers, j’ai voulu démontrer qu’il n’y a pas une forme de la misère que notre charité n’ait adoptée et qu’elle ne s’ingénie à soulager. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la Charité à Paris de Ch. Lecour, le Manuel de l’assistance de Jules Arboux, le Manuel des œuvres (institutions religieuses et charitables de Paris) de Mme de Serry, et surtout les substantiels articles sur Paris charitable que Victor Fournel a publiés dans le journal le Monde. On sera étonné, on sera émerveillé de la quantité, de la qualité des œuvres qui, sans repos ni trêve, combattent le vice, l’infirmité, l’abandon et le dénûment. La lutte est incessante, et ce n’est pas toujours le mal qui remporte la victoire. La charité a ses triomphes ; mais, comme elle est humble, elle n’en parle pas, et on ne les connaît guère.

Bien souvent, j’ai essayé de me figurer ce que pouvait être la famille humaine avant l’invention du feu, avant que le Pramantha eût fait jaillir la première étincelle aryenne qui devait éclairer le monde, avant que Prométhée le Titanide eût été enchaîné sur le roc pour « avoir outragé les dieux. » Je n’ai pas réussi ; jamais je

  1. Rapport sur les prix de vertu, lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française, du 15 novembre 1883, par M. Edmond Rousse, directeur.