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et les soupes prématurées, ont tués, ou rendus rachitiques. Ce n’est jamais sans péril pour ses jours ou pour sa santé future, que le nouveau-né est soustrait à l’allaitement naturel ; le lait de femme, qui se modifie selon l’âge de l’enfant, doit être la nourriture exclusive de celui-ci, tant que la dentition n’a pas démontré qu’il peut s’assimiler des alimens à demi solides. Les mères qui, sous prétexte de fortifier un nourrisson, le bourrent de panades, de jaune d’œuf, de mie de pain imbibée de jus de viande, l’affaiblissent, l’étiolent, le détruisent, car elles imposent, à son estomac des matières qu’il est impuissant à triturer et à digérer. Ce régime est pernicieux. Un chapelet de nodosités placées au point d’intersection des côtes et du sternum est l’indice presque immédiat qui dénonce le danger ; l’amaigrissement des membres inférieurs, le ballonnement du ventre s’accusent de plus en plus ; c’est le début du rachitisme. Il n’y a pour l’enfant qu’un garde-manger, le sein de la nourrice. Le docteur Comby ne s’y trompe pas ; il regarde un des avortons et dit à la mère : « Cet enfant a été élevé au biberon ou au petit pot ? » La réponse est uniforme : « Oui, monsieur. »

Les scrofuleux, si nombreux dans les agglomérations ouvrières, sont le produit d’une ascendance viciée : l’alcoolisme, la débauche, la misère laissent des traces redoutables et forment ces générations souffreteuses, malsaines, incomplètes, où se recrute la légion des incurables. La charité les soigne, les adopte, les garde dans ses asiles ; elle répare le mal autant qu’il est en elle, mais elle ne peut le guérir. Le seul bien que l’on aurait pu faire à ces malheureux est en dehors de la puissance humaine, c’eût été de les empêcher de naître. Une femme large et forte, de très douce expression, est entrée conduisant un enfant de sept ou huit ans, édenté, ayant l’air d’un gnome et boitant très bas. En lui tout est grêle, excepté le genou que gonfle une tumeur blanche ; on essaie de mouvoir le membre pour s’assurer qu’il n’est pas encore saisi par l’ankylose ; le pauvre petit crie : « Non ! non ! » et se met à pleurer. Sa mère se jette sur lui et l’embrasse en pleurant. On lui dit : « Menez votre enfant à l’hôpital. » Elle se tord les bras et répond : « Jamais ! il y mourrait. » On porte l’enfant dans la pièce voisine, où une sœur lui badigeonne le genou avec de la teinture d’iode. Une autre femme vient ; figure longue et terne, menton de galoche, dents démesurées, très simplement, mais proprement vêtue. Un enfant de quelques mois repose dans ses bras, elle le regarde et pleure. Le petit est de couleur terreuse, sa tête vacille,.. on dirait qu’il n’a pas la force de la porter ; il contracte les sourcils, sa pupille est énorme, comme si elle avait été baignée de belladone ; il a une méningite, il est perdu. La pauvre femme a eu neuf enfans, quatre sont morts, le dernier va mourir ; à peine a-t-elle le temps