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que, dans toutes ces combinaisons, les partis, le gouvernement lui-même n’ont paru chercher que ce qui pouvait leur laisser espérer l’avantage électoral ; personne ne s’est occupa de ce qui pouvait assurer une représentation sérieuse, sincère et rationnelle à Paris. On a éludé le problème qui consisterait à trouver une organisation municipale particulière pour une ville qui n’a rien de municipal. C’est là la difficulté et, tant qu’elle ne sera pas résolue, on en sera réduit à cette anomalie, à cette contradiction d’une ville qui concentre les plus puissans intérêts moraux, intellectuels, financiers et d’un conseil municipal qui passe son temps à voter la révision de la constitution, à laïciser, à demander des monumens pour les fédérés de la commune, — qui, en un mot, n’est en plein Paris qu’une vaine et artificielle représentation de parti ou de faction.

Que devient, pendant ce temps, l’entreprise que la France poursuit sur les bords du Fleuve-Rouge, au Tonkin? Nos soldats, pour faire leur devoir, n’attendent sûrement pas d’apprendre ce que la chambre veut faire de l’armée française avec sa loi de recrutement démocratique et ses prétendues réformes de l’organisation militaire. Ils vont bravement à l’ennemi quand il le faut, et ils supportent sans se plaindre les fatigues d’une lointaine campagne en pays inconnu. Ils sont allés à Sontay avec l’amiral Courbet; ils ont pris Bac-Ninh avec le général Millot et ses vaillans lieutenans, le général de Négrier, le général Brière de l’Isle. Ils marchent maintenant sur Hong-Hoa, Ils iront partout où leurs chefs les conduiront. Le malheur est qu’on ne voit pas bien comment tout cela peut finir, et que nos succès, nos traités avec l’Annam n’empêchent pas les massacres, qui se renouvellent trop fréquemment là où nous ne sommes pas. La France viendra-t-elle à bout de pacifier ces contrées, d’y établir un ordre suffisant et de faire accepter par la Chine ce qu’elle aura créé? Ce n’est pas sans doute de sitôt qu’on arrivera à un dénoûment, et avant d’en être là, on aura certainement à demander de nouveaux crédits, à envoyer des renforts à notre petite armée expéditionnaire.

Non, décidément, les entreprises lointaines ne réussissent pas pour le moment aux plus grandes nations. Elles commencent par être aussi coûteuses que laborieuses; elles ont de la peine à se dégager de toutes les obscurités, et si la France a des difficultés au Tonkin, elle peut, à la rigueur, se dire que l’Angleterre n’est pas plus heureuse avec ses affaires d’Egypte, qui sont certes loin de se simplifier et de s’éclaircir. Ce qu’il y a de plus frappant, c’est que, dans les deux cas, pour les deux gouvernemens, tous les mécomptes, tous les embarras sont nés d’une politique qui n’a pas su ce qu’elle voulait, qui ne s’est pas fait une idée exacte et précise de l’œuvre qu’elle allait entreprendre. L’Angleterre n’en est même pas encore à avoir des opinions bien claires, un plan de conduite arrêté, puisque ces jours derniers, dans la chambre