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la race moresque, s’approcher d’un médecin européen et découvrir tous ensemble leur bras droit, rongé par la même plaie ; encore laisse-t-il au lecteur le soin de tirer lui-même les terribles conclusions, il passe et ne s’appesantit pas. Pour qu’il se sente à l’aise, pour qu’il puisse développer librement ses qualités, il lui faut des cadres plus animés, plus vivans que les vastes horizons de l’Orient ou de l’Afrique. Il lui faut les foules, même serrées dans des rues étroites, il lui faut le clinquant et le cliquetis des villes modernes. La vie heureuse, large, grasse, la santé épanouie, la prospérité générale qui se manifeste par l’ordonnance du repas et le bon entretien des trottoirs, voilà ce qui lui convient le mieux. Aussi, est-ce en Hollande qu’il s’est trouvé dans son véritable élément, et son livre sur la Hollande est-il son meilleur ouvrage, celui qui donne du pays parcouru l’impression la plus complète, celui qui seul révèle un accord intime, nécessaire entre le tempérament de l’auteur et le sujet traité. M. de Amicis s’est promené, la loupe à la main, dans ce pays étrange, conquis par l’homme sur la mer. Il en a examiné les moindres détails, depuis la médiocre statue d’Érasme qui se dresse sur une place de Rotterdam jusqu’au merveilleux Taureau de Potier, depuis ces paisibles paysages verts où seul quelque héron, immobile sur une patte, représente la vie, jusqu’aux rues d’Amsterdam si pleines de mouvement, jusqu’au vaste parc de La Haye, où des arbres énormes abritent une patriarcale résidence. Il a pris sa part des kermesses, il est entré dans un club d’Alkmaar, il a causé avec un paysan qui lui a répété en italien le premier vers de la Divine Comédie, il s’est extasié sur les casques d’or des servantes frisonnes, il a visité le marché de Groningue. Sans doute, certains détails l’ont étonné : sa vivacité méridionale s’est mal accommodée du flegme hollandais, et il n’a pu comprendre que des gens qui l’avaient reçu en ami se séparassent de lui sans déclamation. Peut-être même ce contraste l’a-t-il servi : le fait est que son tableau de la Hollande est d’une exactitude de proportions et d’une sûreté de lignes qu’on ne retrouve qu’en partie dans ses autres voyages.

Comme les gens heureux, M. de Amicis est bon. Mais il est bon, comme il est heureux, sans se douter qu’on puisse ne pas l’être. Il le sait et il l’a dit, dans une suite de quatre sonnets où il s’est disséqué lui-même d’une main sûre : « Cette bonté n’est qu’une affectueuse courtoisie (un’ amorosa cortesia), — la courtoisie des âmes sereines. C’est une bonté qui ne vient pas de la volonté, — c’est un instinct de paix et d’harmonie, — c’est une douceur que ma mère — a répandue dans mes os et dans mes veines. — Oh ! que quiconque a pu m’affliger ou me blesser, — vienne à moi dans un jour de douleur, — il trouvera des larmes dans mes yeux. Et jusqu’à ce que je descende au tombeau, — sur ma bouche brillera un sourire, — une affection frémira dans mon cœur. » Certains morceaux des Scènes de la vie militaire