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de temps en temps passe, puis se perd, comme une somnambule solitaire et pensive. » Vous remarquez que le mot blanc revient sans cesse dans ces descriptions; et vraiment cette couleur qui, à proprement parler, n’en est pas une, qui n’est que la résultante du mélange de toutes les autres, et qui est particulièrement chère à M. de Amicis, peut encore servir à caractériser sa nature mobile, dont les oscillations ne sont cependant jamais assez violentes pour ne pas aboutir à une tranquille quiétude. Car, de même qu’il aime la nature en pleine lumière, M. de Amicis l’aime en plein repos, et il l’avoue dans son sonnet à la mer, qui, à ce point de vue, mérite d’être cité :

« Salut, ô grande mer ! Comme un avril éternel, — ton sourire m’invite toujours à chanter, — et fait, dans mon corps auquel il rend la vigueur, — bouillir les flots de mon sang juvénile.

« Salut, mer adorée! épouvante du lâche, — joie du brave, santé du malade, — mystère immense, jeunesse infinie, — beauté formidable et charmante.

« Je t’aime lorsque tes colères se brisent sur le rivage, — à la lueur funèbre des éclairs, — j’aime tes flots énormes et leurs mugissemens,

« Mais, plus encore, j’aime ton murmure — lent et solennel qui berce le cœur, — ô cimetière d’azur sans limites ! »

Ce dernier vers, cette évocation d’une chose triste, est la plus forte note de mélancolie qu’on trouve chez le poète italien; et, pour la lui arracher, il n’a fallu rien moins que le spectacle grandiose auquel tant de poètes ont mesuré leurs désespoirs. D’ailleurs, au fond de lui-même, le peintre de la Hollande doit préférer à tout le reste la vie artificielle, et je ne crois pas qu’il ait jamais eu d’élan sincère vers la vraie nature délivrée de l’homme.

M. de Amicis a-t-il conscience de son état d’optimisme? En tout cas, il s’y complaît et s’efforce de s’y maintenir. Il évite avec soin tout ce qui lui paraît attristant. Ses nouvelles finissent toujours bien, même quand la logique voudrait qu’elles finissent mal. Leurs péripéties sont rarement dramatiques. Si le sujet comporte des détails pénibles, l’auteur les enveloppe de toutes les précautions imaginables, et il sacrifie sans hésiter les données de la physiologie, ou même celles de la simple observation, au besoin de tout arranger. Un des plus importans récits des Scènes de la vie militaire, Carmela, est, sur ce point, tout à fait caractéristique. Carmela est une jeune paysanne, à demi sauvage, qui s’est passionnément éprise d’un officier en garnison dans son village; mais, — est-il besoin de le dire? — du plus pur des amours. Au bout de trois mois, son amoureux reçoit un ordre de départ, la quitte en lui promettant de revenir, — et ne revient pas. Carmela ne tarde pas à apprendre, par un malheureux hasard, qu’il se marie. Elle en devient folle. Sa folie consiste à prendre pour l’infidèle tous ses successeurs,