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peu profond que s’appesantir, » on n’a pas à craindre un morceau absorbant ou troublant.

En raison même de ce dilettantisme de caractère, en raison aussi de sa sensibilité si facilement excitée et si facilement satisfaite, M. de Amicis est un de ces écrivains, — rares à l’heure actuelle, — qui trouvent la vie bonne et la savourent en toute saison. Il est sceptique, mais sans aigreur, juste assez pour rester tranquillement établi dans un épicuréisme modéré. Il a de l’esprit, mais un esprit aimable, qui ne se déverse jamais en railleries : on trouve deux ou trois satires dans son recueil de poésies, mais elles ont une portée toute générale et ne blessent personne : ici, par exemple, il prend à partie un critique impuissant et rageur qu’il ne nomme pas, qu’il s’abstient même de caractériser par un trait qui pourrait le désigner plus clairement, et auquel il se borne à déclarer qu’il se moque de lui; là, un parasite qui exprime à un grand homme son admiration désintéressée en lui empruntant un louis ; des personnages dont les petits ridicules et les petits vices choquent à peine, — tant nos contemporains nous ont accoutumés à des peintures plus violentes, à des figures plus marquées, — et qu’on ne reconnaîtrait certainement pas parmi la foule de leurs pareils.

La façon dont un écrivain comprend la nature est souvent décisive pour caractériser ses goûts et son esprit. M. de Amicis la comprend comme il comprend la vie. On trouvera difficilement, dans ses voyages, une description mélancolique. Ses paysages favoris sont gais et s’étendent en plein soleil, à peine teintés quelquefois par ces vapeurs légères que dégagent dans les lointains les premières chaleurs du printemps par ces sfumature qui brodent leurs fines dentelles sur les rivages méditerranéens. Dans ses poésies qui portent encore plus nettement l’empreinte de sa personnalité, puisque rien ne l’y gêne dans le choix de ses sujets, la même tendance est encore plus accentuée. Les poètes modernes se font une nature à leur image, chargeante et complexe comme eux, souriante quand ils ont la joie au cœur, navrée quand ils s’assombrissent, reflétant tous les nuages qui leur voilent le ciel, bouleversée par toutes les tempêtes dont ils sont secoués : en sorte que c’est presque toujours eux-mêmes qu’ils dépeignent dans leurs descriptions, qu’ils imposent aux choses la violence et la fugacité de leurs sensations raffinées, qu’ils leur prêtent leur vie intense et si souvent maladive. Chez M. de Amicis, la nature est toujours simple, et si je puis me servir de cette expression, égale à elle-même. Dans ses sonnets sur l’Espagne, sur la Hollande, sur le Maroc, sur Constantinople, on croirait voir, on voit « les maisons blanches et isolées qui semblent recouvertes d’un voile de gazon » succéder aux « ondes azurées dans lesquelles tremblent les blancs minarets, » et faire place à leur tour «à la paix de ces grandes prairies coupées de canaux où une voile blanche