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Jacques Ier se plaignit d’un tel dessein et fit observer à notre ambassadeur que les huguenots français pourraient y trouver le prétexte d’un soulèvement. Henri IV, dans sa réponse à M. de Beaumont, explique le motif de sa conduite. D’abord les jésuites étaient « si supportez et favorisez en plusieurs provinces » qu’on les y avait retenus malgré l’arrêt de 1594 : les persécuter « c’estoit malcontenter un grand nombre de catholiques et leur donner quelque prétexte de se rallier ensemble et exécuter de nouveaux troubles; » les rappeler, c’était les empêcher « de se donner entièrement aux ambitieuses volontez du roy d’Espagne, » et le roi croyait même « pouvoir en retirer du service en plusieurs occasions. » Enfin, poursuivait-il, « tant s’en fault que mes subjects de la religion prétendue réformée ayent subject d’entrer en alarme de leur restablissement, qu’estant leur authorité et puissance réglée et retranchée comme elle sera, ils auront moins de moyens de leur nuire ; et, comme ils seront tenus de court et en devoir, ils n’auront pouvoir de les combattre qu’à force de mœurs et de bonne doctrine, en bien instruisant la jeunesse. » En effet, le nouvel édit n’autorisait les jésuites qu’à demeurer où ils se trouvaient, en leur assignant seulement trois villes, Lyon, Dijon, La Flèche, comme lieux de nouvelle résidence, leur défendait de a dresser aucun collège ny résidence en aultres villes ny endroits » sans la permission royale, restreignait à leur préjudice la faculté de succéder et d’acquérir, etc. Cependant le parlement de Paris s’émut et fit de solennelles remontrances : « J’ay toutes vos conceptions en la mienne, répondit Henri IV aux magistrats, mais vous n’avés pas la mienne aux vostres. L’Université a occasion de regretter les jesuistes puisque, par leur absence, elle a esté comme déserte, et les escholiers, nonobstant tous vos arrests, les ont été chercher dedans et dehors mon royaume... Quand Chastel les auroit accusez, comme il n’a faict, et qu’un jesuiste mesme eut fait ce coup (duquel je ne me veux plus souvenir...), faudroit-il que tous les jesuistes en pastissent, et que tous les apostres fussent chassez pour un Judas?.. Il ne leur faut plus reprocher la ligue; c’estoit l’injure du temps; ils croyoient de bien faire et ont esté trompez comme plusieurs autres... L’on dit que le roy d’Espagne s’en sert; je dis aussy que je veux m’en servir... Ils sont nez en mon royaume et sous mon obéissance ; je ne veux entrer en ombrage de mes naturels subjects... »

Il faut méditer ce discours, qui respire une philosophie si sereine et que traverse un grand souffle d’équité. On y sent la conception d’un idéal que personne n’entrevoit encore en 1603 : Henri IV, de même qu’il eût voulu pouvoir appliquer le droit commun aux huguenots haïs par les catholiques, voudrait maintenant l’appliquer