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faire enregistrer au parlement de Paris, en 1595 et en 1598, les édits rendus en faveur des huguenots, quelques anciens ligueurs et des plus ardens, comme Lazare Coquelay et Bélanger, unirent leurs voix à celle des politiques. Henri IV, cherchant à faire accepter ces édits par les catholiques, avait un très grand intérêt à ce qu’ils ne fussent pas vérifiés par des compagnies exclusivement composées de ses créatures.

Il suivit la même politique à l’égard des principaux chefs ligueurs. Villars, qui se soumit le premier, fit les conditions les plus dures. Mayenne l’avait nommé amiral de France, pendant que Henri IV donnait cette charge à Biron : il fallait confirmer le choix de Mayenne et rétracter celui du roi, puis consoler Biron, c’est-à-dire le payer très cher, donner en outre à Villars lui-même la grosse somme de 3,470,800 livres, lui remettre la ville de Fécamp et six riches abbayes dont il avait été déjà disposé par le roi, etc. Sully ne pouvait pas se résoudre à conclure un traité semblable : on connaît la réponse de Henri IV : « Mon amy, vous estes une beste d’user de tant de remises et apporter tant de difficultés et de mesnage en une affaire de laquelle la conclusion m’est de si grande importance pour l’establissement de mon auctorité et le soulagement de mes peuples. Ne vous souvient-il plus des conseils que vous m’avés tant de fois donnez, m’alleguant pour exemple celui d’un certain duc de Milan au roy Louis unziesme, qui estoit de séparer par intérêts particuliers tous ceulx qui estoient liguez contre luy soubs des prétextes generaulx... Partant, ne vous amusés plus à faire tant le respectueux pour ceux dont il est question (Biron et autres), lesquels nous contenterons d’ailleurs, ny le bon mesnager, ne vous arrestant à de l’argent ; car nous payerons tout des mesmes choses que l’on nous livrera, lesquelles, s’il falloit prendre par la force, nous cousteroient dix fois autant. » Henri IV s’attacha fermement à l’exécution de ce plan, que presque aucun de ses conseillers ne comprit ou n’approuva, mais qui réussit à merveille, et continua de séparer « par interests particuliers » tous ceux qui s’étaient ligués contre lui sous un prétexte général. Quant à Villars, il fit amende honorable sur une des places publiques de Rouen avec toute la netteté désirable: « Allons, morbleu! dit-il, la ligue est f..[1] ; que chacun crie : Vive le roy ! » Et lors, ajoutent les Œconomies royales, il se fit une telle acclamation que tout l’air en retentissoit. » A partir de ce jour, il mit loyalement son épée au service de Henri IV et devint un de ses plus fidèles serviteurs. Quand la

  1. Les rédacteurs des Œconomies royales s’excusent auprès des dames d’avoir reproduit « les propres termes » dont se servit, ce jour-là, M. de Villars.