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« Guarinus, ce jour, appela le roy bougre en sa chaire : ce qui scandaliza les plus dévots; et plaisantant sur sa conversion, dit : Mon chien, fus-tu pas à la messe dimanche? Approche-toi, qu’on te baille la couronne. » Enfin, ce qui était plus grave, on déniait au pape lui-même le droit d’absoudre cet hérétique relaps, si ce n’est à l’article de la mort.

Ces propos et d’autres, qu’on se hâtait de porter au camp royal, faisaient, s’il faut en croire L’Estoile, « rire le roy bien fort. » Peut-être valait-il mieux feindre d’en rire ; mais beaucoup trop de gens les prirent au sérieux. C’est ainsi que des catholiques, en grand nombre, persistèrent à regarder Henri IV comme incapable de régner tant qu’il n’aurait pas reçu l’absolution du pape. Il la reçut et les fanatiques déclarèrent aussitôt qu’elle était sans valeur : étranges serviteurs de l’église, qui ne juraient que par le pape, et le mettaient de côté dès qu’il ne se mettait pas lui-même à leurs ordres ! De là cette suite de complots, sans cesse renouvelés, et cette interminable liste de régicides. C’est un jeune homme de vingt-sept ans. Barrière, qui, moins d’un mois après la conversion de Henri IV, va trouver le jacobin Bianchi pour lui demander s’il est permis d’attenter à la vie du roi « dans les circonstances présentes » et, quoique ce moine l’en dissuade, se rend aux abords du logis royal, où il est arrêté, porteur « d’un couteau d’un pied de longueur, fraîchement émoulu et aiguisé, » au moment même où il va consommer son dessein. L’année suivante, c’est Chastel, qui lui fend d’un coup de couteau la lèvre supérieure et, comparaissant devant deux chambre réunies du parlement, déclare « qu’il estoit loisible de tuer les roys, mesme le roy régnant, lequel n’estoit en l’église, parce qu’il n’estoit approuvé par le pape, » Henri IV se réconcilie avec le saint-siège, et les meurtriers se remettent à l’œuvre avec une nouvelle ardeur : en 1596, l’avocat Jean Guédon; en 1597, un tapissier de la rue du Temple; en 1598, Pierre Ouin; en 1599, Ridicoux, Argier, Langlois; en 1600, Nicole Mignon; en 1602, Julien Guédon, frère de Jean, etc. Ravaillac n’a pas manqué de précurseurs.

Il fallait, avant tout, pour vivre et régner, désarmer, sinon tous les catholiques, puisqu’il y a des gens qu’on ne désarme jamais, au moins la grande majorité des catholiques, c’est-à-dire les neuf dixièmes des Français; pour les désarmer, non-seulement gagner ceux-ci, réduire ceux-là, mais rassurer tout le monde. La tâche fut très difficile au roi Henri, non-seulement parce qu’on avait conçu, au moment même de sa conversion, des doutes sur sa sincérité, mais parce qu’il ne voulut pas, un peu plus tard, les dissiper à tout prix. Il consentait à gouverner avec les catholiques, mais sans se laisser gouverner par eux. A leurs yeux, il faisait donc assez