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du parti huguenot qu’en administrant les finances. S’il faut en croire certains calvinistes, il ne faudrait pas compter Sully, quand on dresse la liste des protestans que le Béarnais prit pour auxiliaires : Sully ressemble trop au roi ; c’est la doublure de Henri IV. Cependant il ne s’agissait pas d’annexer la France à Genève, mais de mettre les Français à même de travailler à la prospérité de la patrie commune. Il ne faut pas outrager la mémoire de ce roi patriote, parce qu’il n’a pas fait le duc de Bouillon surintendant des finances et le pasteur Charnier grand-maître de l’artillerie.


II.

Le roi s’était-il converti sincèrement? disaient de leur côté les catholiques. « Ce sera dimanche que je ferai le sault périlleus... J’ai cent importuns sur les espaules... Venés demain de bonne heure,.. » écrivait-il dans la matinée du 23 juillet 1593 à Gabrielle d’Estrées et, le même jour, dans une conférence de quelques heures où l’on avait successivement traité des prières pour les morts, de la confession auriculaire, de l’eucharistie, etc., il s’était laissé promptement convaincre. Encore avait-il confessé lui-même aux docteurs, avant l’ouverture du débat théologique, que, « touché de compassion de la misère et calamité de son peuple, il souhaitait pouvoir contenter ses sujets. » N’avait-il donc pas, ce jour-là, cédé tout simplement aux vœux du peuple, c’est-à-dire aux nécessités variables de la politique ? Il avouait d’ailleurs en même temps aux huguenots, on ne l’ignorait pas, « qu’il s’était fait anathème pour tous à l’exemple de Moyse et de saint Paul » et le leur répéta, s’il faut en croire d’Aubigné, pendant sept ans. Aussi le légat avait-il excommunié en masse tous ceux qui se rendraient, le 25 juillet 1593, à la « première messe du roy » et les meneurs de la ligue redoublaient-ils d’efforts pour exciter contre lui la fureur populaire. Il faut lire à ce sujet les anecdotes dont fourmille le Journal de l’Estoile. Le 25, c’est un pauvre hère que les Parisiens veulent traîner à la rivière « pour avoir dit que le roy de Navarre avoit esté à la messe. » Un peu plus loin : « Le mercredi, 28 de ce mois, tous les prédicateurs de Paris dirent en leurs sermons que cest hypocrite de roy de Navarre avoit fait sa conversion au jour de l’évangile qui dit que les loups viendront en habit de brebis. Aussi ce renard avoit pris exprès ce jour pour ouir la messe, affin que sous peau de brebis il peust entrer en la bergerie pour la dévorer. Mais... que sa conversion estoit feinte et ne valoit rien ; la cérémonie qu’on y avoit observée, une vraie farce et bastèlerie ; et la messe qu’on y avoit chantée, puante et abominable. » Un peu plus loin encore :