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« Ce personnage était assez difficile à contenter, car il fut, au demeurant, maréchal de camp, gouverneur d’Oléron et de Maillezais, vice-amiral de Saintonge et de Poitou. Lesdiguières, qui avait été l’un des principaux chefs militaires du parti calviniste avant la mort de Henri III, fut le plus actif lieutenant de son successeur. C’est lui qui reprit Grenoble aux ligueurs, battit à Pontcharra Amédée, bâtard de Savoie, fut chargé de pacifier le Dauphiné, battit encore à plusieurs reprise, en Provence, les Savoyards, les Italiens et les Espagnols, conquit en quarante jours, dans l’été de 1597, toute la partie de la Savoie située au nord de l’Isère et conduisit sous les ordres du prince lui-même cette belle campagne de l’an 1600, à la fin de laquelle Charles-Emmanuel fut appelé « le duc sans Savoie.» Il est vrai que ce protestant finit par abjurer, mais deux ans après la mort de Henri IV, et celui-ci, en septembre 1609, l’avait fait maréchal de France. Le duc de La Force n’eut pas plus à se plaindre, et celui-ci, qui devait se révolter plus tard contre Louis XIII, n’était pourtant ni des indifférens ni des tièdes. Le « ladre vert, » alors qu’il était le plus obéré, lui avait donné 28,000 écus et l’avait fait capitaine de cent hommes d’armes. Un peu plus tard, en 1593, il le fit son lieutenant-général en Béarn et l’y maintint pendant tout son règne « avec le même pouvoir, lit-on dans ses Mémoires, qu’auroit eu Sa Majesté, si elle eût été présente, ce qui s’étendoit jusqu’à donner toutes les charges et pourvoir à toutes les affaires qui pourroient survenir. » Bouillon, qui ne perdit jamais une occasion de trahir, avait été nommé maréchal de France en 1594, malgré le parlement de Paris. Lorsqu’il eut une dernière fois failli soulever le Sud-Ouest, Henri IV l’attaqua dans sa principauté même et fit avancer des canons contre Sedan; mais, au lieu de prendre la ville de vive force et de la garder, comme Sully le conseillait, il se la fit remettre seulement pour quatre ans, délivra des lettres d’abolition à cet entêté conspirateur, et lui rendit aussitôt la citadelle.

Le plus illustre de tous ces grands seigneurs calvinistes fut Rosny, que Henri IV fit successivement surintendant des finances, gouverneur du Poitou, grand-maître de l’artillerie, gouverneur de la Bastille, surintendant des bâtimens, grand-voyer de France, pair et duc de Sully, et qui pourtant ne se convertit pas. « Je vous nomme gouverneur du Poitou, lui disait-il, parce que vous êtes huguenot, et que, vous gouvernant en ces provinces et surtout avec les huguenots, avec prudence et suivant les instructions que je vous donneray, vous prendrez toute la créance et la ferez perdre aux Bouillons et brouillons[1]... « C’était de bonne guerre, et Sully ne rendit pas de moindres services à son maître en dirigeant la fraction modérée

  1. Œconomies royales, ch. CXXVII.