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assemblée politique pour élire ces représentans. Toutefois, trois ans plus tard (1604), il exprima le vœu que la nouvelle assemblée de Châtellerault fût la dernière, s’appuyant, cette fois, contre les réformés, sur le texte même de son édit, qu’il voulait exécuter ponctuellement, et chargeant Sully de leur faire entendre les inconvéniens de toute nature qu’offraient les assemblées politiques. Mais les réformés firent la sourde oreille, quoiqu’on leur eût remis l’acte de prorogation des places de sûreté pendant quatre ans, à partir d’août 1606. Le roi céda, cette fois encore, se sentant chaque jour mieux affermi, sachant tout le fruit qu’il avait recueilli de sa modération et jugeant qu’il ne pourrait que s’affaiblir par un coup de force : il signa, le 18 juin 1608, « le brevet de permission à ceux de la religion pour une assemblée générale politique, » et l’assemblée se réunit à Jargeau. Ce qu’on peut reprocher à Henri IV, c’est d’avoir si bien armé les huguenots de pied en cap qu’ils aient pu facilement, après sa mort, devenir redoutables à son successeur. Mais il avait acquis le droit d’espérer qu’on le laisserait vieillir, et personne ne pouvait raisonnablement prévoir un si brusque dénoûment de son règne. Il avait encore, selon toute vraisemblance, le temps de persuader aux réformés qu’ils faisaient fausse route en cherchant obstinément à fonder un état dans l’état français et de les élever à la conception d’une politique purement nationale[1]. En tout cas, ceux qui l’accusèrent, pendant seize ans, de sacrifier ses anciens coreligionnaires se trompèrent ou les trompèrent; il ne les sacrifia ni en leur cédant ni même en leur résistant.

Comment sa politique extérieure n’éclairait-elle pas tous les calvinistes? Laissons de côté toute la première partie du règne, durant laquelle le Béarnais aux abois, harcelé par les factions, traqué par Philippe II, est réduit à mendier le secours des nations protestantes. Il a vaincu tous ses ennemis et s’apprête à signer la paix de Vervins avec les Espagnols. Quoique Elisabeth ait été trop souvent une alliée peu loyale, qu’elle ait manqué, par exemple, aux premiers engagemens conclus en 1593 et retiré brusquement ses troupes de la Bretagne, empêché plusieurs fois les Provinces-Unies d’envoyer des hommes et de l’argent au camp royal, essayé d’exploiter nos revers en arrachant au roi de France, à l’exemple des calvinistes français, quelque place de sûreté, Brest et surtout

  1. « Peut-être, disent MM. Haag (Notice, p. 72), si Henri IV eût vécu quelques années de plus, les haines se seraient-elles assoupies, et les catholiques auraient-ils appris à ne plus voir dans les réformés que des concitoyens. »