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une voix menaçante, et lui offrit ce protectorat des églises que Bouillon n’avait pu faire donner naguère à un prince allemand.

En avril 1598, la situation était complètement changée. Amiens était repris depuis six mois, la ligue rendait le dernier soupir en Bretagne, et la guerre étrangère allait être terminée par la paix de Vervins. Henri IV, à qui rien n’avait échappé, qui, traqué par les chefs des calvinistes, avait rongé son frein, mais ressenti cruellement l’injure[1], aujourd’hui vainqueur, couvert de gloire, accueilli par les acclamations frénétiques des Parisiens, pouvait être tenté de revenir à son tour sur les concessions faites en 1591 et en 1594. Il n’ignorait pas que les incorrigibles avaient, même depuis la reprise d’Amiens, formé le projet insensé de surprendre Tours avec trois mille cinq cents hommes, afin de lui arracher de meilleures conditions. Si les délégués de l’assemblée générale se montraient plus souples, c’est qu’il était le plus fort et pouvait abuser de sa force. Loin d’en abuser, il crut pouvoir, sans tout accorder, céder sur divers points. M. Forneron, dans son Histoire des ducs de Guise, remarque que le grand talent de ce prince était « l’art de céder » et « qu’on devient le maître en sachant céder. » Henri IV comprit que le moment était venu, et que non-seulement il cédait sans péril, mais qu’il dessillait par là les yeux des modérés, les persuadait de sa bonne foi, les rattachait pour toujours à son gouvernement, supplantait dans leur confiance les « brouillons et les malicieux ; » en un mot, qu’il paralysait, au moins pour la durée de son règne, la « faction huguenote. » C’est dans ce dessein qu’il signa, le 13 avril 1598, l’édit de Nantes. Nous comprenons très bien aujourd’hui que le nouvel édit garantît aux réformés une entière liberté de conscience, augmentât le nombre des villes et des villages où leur culte pourrait être exercé publiquement, leur permît de tenir des écoles dans tous les lieux de plein exercice, de donner à leurs enfans tels maîtres que bon leur semblerait et de pourvoir par des legs spéciaux à l’entretien de leurs écoliers, les admît à toutes les charges, les autorisât même à s’imposer pour les frais de leurs synodes et les gages de leurs pasteurs. Nous comprenons moins que la charte nouvelle conservât ou créât en leur faveur des juridictions exceptionnelles[2], leur laissât deux cents villes ou places de sûreté dont les fortifications allaient être entretenues, les garnisons soldées par le roi et dont les gouverneurs ne pourraient être nommés

  1. Voir, entre autres documens, la lettre du 2 avril 1597 à Elisabeth, celle du 4 août 1597 au duc de la Force, celle du 11 août 1597 au duc de Piney-Luxembourg, notre ambassadeur à Rome, et les Œconomies royales, ch. LXXV et LXXX.
  2. Mercœur, dans ses négociations avec Henri IV, demanda, de son côté, que des juridictions exceptionnelles fussent octroyées à ses partisans, ne comptant pas, pour les ligueurs bretons, sur l’impartialité des magistrats ordinaires.