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l’indépendance religieuse des calvinistes français, et opposer l’armée de la réforme à celle de l’Europe catholique. Le programme pouvait paraître, au lendemain du combat, tracé clairement : abaisser partout les catholiques vaincus et confondre les intérêts de la France avec ceux de la réforme.

Il y avait une aussi grande faute à commettre. Au demeurant, pouvait-on dire, les réformés n’avaient pas gagné la bataille : c’est leur chef qui, pour en finir, venait d’abandonner la réforme. Henri IV, avant sa conversion, n’avait pas sérieusement entamé la ligue : on lui reprenait les villes qu’il avait prises, il s’épuisait en efforts inutiles et perdait incessamment d’un côté ce qu’il gagnait de l’autre. Même après sa conversion, il ne s’était pas senti le plus fort : autrement il n’eût pas subi les dures conditions que lui dictèrent les principaux ligueurs. Presque toute la France était catholique, et le roi ne pouvait pas gouverner avec la minorité. Par conséquent, il fallait rompre avec cette minorité, c’est-à-dire écarter les protestans des emplois, les priver de toute influence sur la marche des affaires publiques, ne leur laisser que ce qu’on ne pourrait pas leur ôter. C’était d’ailleurs le seul moyen de dissiper tous les soupçons. Il ne fallait pas que Henri de Bourbon, hérétique relaps, pût être accusé d’avoir, par une conversion feinte, escamoté la couronne. Son zèle devait être éclatant pour paraître sincère. Enfin où trouver un meilleur moyen de déjouer les plans et les intrigues de l’Espagne? Le roi de France devait être aussi catholique que le roi catholique lui-même pour lui enlever sa grande clientèle au-delà comme en-deçà de nos frontières.

Henri IV ne pratiqua ni l’une ni l’autre de ces politiques exclusives. Non-seulement il voulut, mais il sut être d’un bout à l’autre de son règne le roi de tous les Français. C’est ce que les derniers Valois n’avaient ni su ni voulu faire, successivement prêts à flatter les huguenots et à les faire égorger, mais ne changeant de conduite que pour changer de tutelle. Henri IV n’eut qu’une politique. Non-seulement il conçut le dessein de forcer les catholiques et les huguenots à vivre côte à côte et à former un peuple homogène, mais il leur imposa son plan avec une persévérance imperturbable et l’exécuta malgré ses amis et ses ennemis. Il n’essaya pas de tromper successivement les deux partis et de les affaiblir l’un par l’autre, mais il entendit régner avec l’un et l’autre, et régna. Cela parut d’abord étrange et dérangea bien des habitudes contractées pendant la guerre civile. Cependant le nombre des mécontens diminua peu à peu; mais une minorité ne cessa pas, dans les deux camps, de murmurer, d’intriguer et de conspirer, jusqu’au moment où le roi paya de sa vie sa conception d’un gouvernement national. Il n’est pas inutile, même après trois siècles, de