Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était menacée, et, dans la guerre suprême que nous allions commencer contre la maison d’Autriche, l’Angleterre, la Hollande, la Suède, le Danemark, les princes protestans de l’Allemagne, le pape, le duc de Toscane, les petits princes italiens, le duc de Savoie lui-même, — tant il semblait profitable de s’associer aux desseins et aux destinées de la France, — étaient prêts à nous seconder.

Par quel prodige, en seize ans, un tel changement s’était-il opéré? Henri IV n’eût pas remporté cette victoire politique s’il n’avait été capable d’en remporter d’autres. Toutefois, ce n’est pas par l’ascendant de son génie militaire qu’il subjugua les anciens partis et rétablit l’état. C’est, avant tout, par sa politique qu’il vint à bout de ses ennemis et qu’il assura du même coup pour près de deux siècles la grandeur de sa race et la grandeur de son pays. Peut-être d’ailleurs aucun homme n’eût-il été capable de mener à bonne fin cette entreprise quelques années plus tôt, avant que le pays fût aussi fatigué de la guerre civile. On ne peut affirmer que Henri IV lui-même eût, avec tout son génie, dans la première effervescence des passions religieuses, réussi à tout dominer. Henri III mourut donc à temps. Mais les difficultés restaient innombrables, même après que les premiers symptômes de lassitude s’étaient manifestés, et la politique royale se heurtait à plusieurs écueils.

Le Béarnais pouvait être tenté, non pas, à coup sûr, de revenir à la religion qu’il venait d’abjurer, ce qui eût à jamais discrédité sa personne et ses actes, rallumé la guerre civile et, sans nul doute, ouvert une fois de plus la France aux Espagnols, mais de se lancer dans une politique huguenote. Qui donc avait contesté ses droits, soulevé Paris, déchiré la France, appelé les étrangers, convoqué révolutionnairement des états-généraux, essayé de mettre sur le trône une infante espagnole? La ligue, au nom des intérêts catholiques. D’un autre côté, les huguenots n’avaient-ils pas été, depuis le meurtre de Henri III, les champions de la cause royale? On avait amené peu à peu les « politiques » à envisager Henri de Bourbon, quoique hérétique, comme l’unique chef du parti national et à le défendre contre ses ennemis parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen de défendre la France contre les étrangers : quant aux ligueurs, ils s’étaient fait chèrement acheter lorsqu’ils n’avaient plus aperçu de meilleur parti à prendre; mais Sully, d’Aubigné, Duplessis-Mornay et tant d’autres avaient été les compagnons de la première heure. Ils avaient partagé tous les périls de leur maître et toujours bravé la mort à ses côtés : leur cause était la sienne et sa victoire était la leur. Quelle occasion de récompenser de pareils services! En 1590 et 1591, il avait fallu s’adresser à l’Angleterre, aux Hollandais, aux Suisses, aux princes allemands pour sauver