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de toute sorte « qui sont bons pour amuser les enfans et les femmes, » et derrière lesquelles se cachent les beautés morales du système. Si le professeur qui a choqué nos oreilles par ce mot d’occultisme, cent fois répété, évoquant pour nous l’image de Robert Houdin plus encore que celles de Simon le Magicien et d’Apollonius de Tyane, nous avait simplement montré la poursuite du bonheur en dehors de toutes les conditions matérielles, comme le but assuré de la vie, son succès eût sans doute été plus général. Il serait parvenu sans peine à prouver qu’une clairvoyance presque divine peut être le résultat d’une vie pure, puisque nous voyons tous les jours le genre de vie opposé conduire à l’épaississement des facultés et transformer en brutes, disposées à nier l’âme, parce qu’elles ont atrophié la leur jusqu’à l’éteindre, des hommes qu’un spiritualisme bien entendu aurait élevés au-dessus d’eux-mêmes. Tel qu’on nous le donna, au contraire, l’exposé des doctrines bouddhiques sous la forme que leur a prêtée une libre adaptation russo-anglaise, devait nous laisser plus qu’indifférens.

Il fut réfuté brièvement, avec autant de clarté que de tact, par le ministre protestant, qui rappela que toutes ces choses merveilleuses étaient renouvelées des écoles gnostiques, du dualisme, d’où émanèrent les enseignemens du Persan Basilide, ceux de Valentin, un autre théosophe d’Alexandrie, et de Bardesane, qui vivait également au IIe siècle de notre ère. Sa réponse parut trop rationnelle et trop mesurée aux amateurs d’extraordinaire, que la théorie de la science par illumination avait conquis d’emblée, cette science surtout permettant à ceux qui la possèdent de passer à travers les murailles et de s’élever dans les nues.

Ce qu’avait compris le prince afghan, qui, en trois mois de séjour ici, ne pouvait avoir appris beaucoup de français, bien qu’il accompagnât ses saluts à l’orientale de mots étonnamment bien choisis, nous l’ignorons; mais il voulut répondre en arabe, et pendant une demi-heure nous entendîmes les syllabes gutturales d’une langue inintelligible pour tous sortir de cette bouche aux lèvres fines aiguisées de ruse, dont l’expression s’accordait admirablement avec celle des yeux noirs pleins de flammes sous le turban d’une éclatante blancheur. Tous les muscles de son fin visage olivâtre vibraient d’énergie et de passion. A la façon dont il foudroyait du regard l’Angleterre représentée par le colonel de la garde, à l’animation de son geste, on pouvait croire qu’il parlait des événemens de Kaboul beaucoup plus que de religion. Les personnes présentes attendaient impatiemment la traduction qui ne leur fut pas donnée, l’interprète levantin, fort étranger à toute métaphysique, ayant, après deux ou trois phrases qui semblaient impliquer que son patron ne croyait