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jardins de l’hôtel de Soissons. Vers la fin de juillet, les billets perdaient plus de 30 pour 100 : les espèces étaient de plus en plus rares. Law pensa qu’il les rappellerait à la circulation par une hausse considérable de leur cours (surtout si elle était temporaire et si des diminutions prochaines étaient en même temps prescrites). La veille du jour où la dernière de trois réductions successives ordonnées le 10 juin allait être effectuée, le 31 juillet, les espèces furent rehaussées à 1,800 livres le marc d’or et à 120 livres le marc d’argent, taux auquel elles n’avaient pas encore été portées; mais elles seront successivement diminuées d’un huitième le 1er septembre, le 16 septembre, le 1er octobre et le 16 octobre de manière à être à cette date réduites de moitié, à 900 livres le marc d’or et à 60 livres le marc d’argent. La monnaie métallique devenait de plus en plus une valeur fictive et variable comme le papier. On s’était plaint, avec raison, que pendant, les vingt-cinq dernières années du règne de Louis XIV (de 1689 à 1715) le cours des espèces eût varié quarante-trois fois; en 1720, en moins de douze mois, il varie quatorze fois : l’autorité publique, qui troublait ainsi tous les intérêts, était sans excuse. On put croire un moment que cette hausse du numéraire relèverait le cours des billets : pendant deux jours, le billet de 100 livres fut presque au pair; mais il ne tarda pas à perdre 30 livres, et il en perdait 60 à la fin d’août, tandis que l’élévation du cours des espèces entraînait la hausse de tous les prix[1].

Un an auparavant, en août 1719, la banque n’avait pas encore émis 400 millions de billets, et la compagnie des Indes venait de porter à 300,000 le nombre de ses actions. Depuis, la banque avait poussé ses émissions jusqu’à près de 3 milliards, et la compagnie avait élevé à 600,000 le nombre de ses actions. Mais aujourd’hui ces actions ont été réduites à 200,000 : la circulation des billets a aussi diminué; cependant elle dépasse encore 2 milliards et sa diminution est activement poursuivie. C’est par la voie de l’autorité que Law avait voulu amener la nation à remplacer par le papier l’or

  1. « Cette augmentation des espèces a en même temps fait augmenter toutes les denrées; il n’y a plus de prix à rien; on n’a pas un seul moment de fixe, et cette incertitude des affaires marque celle du gouvernement. Le 3 août, les marchandises sont montées à un prix si excessif que le drap commun vaut 50 et 60 livres l’aune; la chandelle 30 sols la livre; la bougie 6 livres. » (Mémoires de M. Marais. — Août.) « Depuis l’augmentation des espèces, tout est augmenté de moitié ; cela fait un prix dont on n’a jamais entendu parler : la bougie vaut 9 livres ; le café 18 livres la livre ; ce qui valait autrefois 1 livre 12 sols l’un et l’autre 2 livres 10 sols. — Tous les revenus sont diminués de moitié, et bien des bourgeois ont perdu leurs fonds aux actions qu’ils ont achetées bien cher. Cela fait que chacun mange son fonds. » (Journal de Barbier.)