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une injure, réalisant, en somme, le type du romantique qui veut mettre par force le roman dans la vie, l’idéal dans la réalité, ayant la foi inébranlable dans l’art, mais dépourvu de philosophie : nature ardente, excessive, volcanique. « Les cœurs de lave sont durs, dit-il, le mien est rouge fondant. » Oui; tant que le cratère bout, quels torrens de flammes; mais lorsqu’il s’éteint, que de noires scories! la triste fin d’un si grand artiste! O la mélancolique épitaphe qui conclut ses Mémoires ! C’est le mot de Macbeth lorsqu’il se sent perdu : « La vie n’est qu’un ombre qui passe, un pauvre comédien qui, pendant une heure, se pavane et s’agite sur le théâtre et qu’après on n’entend plus. »

Nous entendons toujours Berlioz, car son âme nous par le dans ses œuvres immortelles, incapable de bonheur et d’apaisement, elle se prêtait merveilleusement à l’expression des passions romantiques. Coloriste fougueux, il a porté la musique instrumentale à son dernier degré d’intensité et de violence. Rien du dramaturge en lui, car le drame suppose l’empire absolu du poète sur les passions qu’il manie, sur les caractères, dont il s’érige en providence. Berlioz est dominé par les passions qu’il déchaîne, subjugué par les caractères dont il s’éprend. Il se monte alors, il s’exalte, il chante dans un délire sublime. Ce lyrique à tous crins n’a pas les visions transcendantes de Beethoven, il ignore également la psychologie fouillée et la science dramatique d’un Wagner. Mais quel maître incomparable dans l’expression de la passion pure!

Son tempérament d’artiste éclate sans gêne ni frein dans la Symphonie fantastique cette œuvre de jeunesse qui exprime si bien l’amour en 1830. « L’auteur suppose, dit Berlioz dans son programme de 1832, qu’un jeune musicien, affecté de cette maladie morale qu’on appelle le vague des passions, voit pour la première fois une femme qui réunit tous les charmes de l’être idéal que rêvait son imagination et en devient éperdument épris. Par une singulière bizarrerie, l’image chérie ne se présente jamais à l’esprit de l’artiste que liée à une pensée musicale dans laquelle il trouve un certain caractère passionné, mais noble et timide comme celui qu’il prête à l’objet aimé. » La trame harmonique de ce début est savante et compliquée; la mélodie de la femme aimée s’en détache vivement, comme le trait incisif de l’amour dardé au milieu des rêveries de l’adolescence. L’insistance avec laquelle revient ce motif, interrompu par des accès de joie sans raison, la manière dont il se développe et grandit jusqu’à la passion délirante avec des mouvemens de fureur, de jalousie et des retours de tendresse sont déjà caractéristiques du génie de Berlioz. Beethoven, cet Homère