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préféré à celui dont toutes les balles seraient à la distance 2; cela paraît juste. La seconde règle, celle qui s’appuie sur la loi de probabilité des écarts, placerait avant lui le tireur dont toutes les balles seraient à la distance 3. Peut-être vaudrait-il mieux, sans tant raffiner, s’en tenir à la vieille méthode, qui réserve le prix à qui le plus souvent touche la mouche, sans rechercher l’écart des balles moins heureuses.

La formule de Gauss déclare, pour ainsi parler, certains cas impossibles. N’invite-t-elle pas par là, quand ils se présentent, à se défier un peu d’elle? Les cas exceptionnels échappent à toute règle. Le bon sens ne perd jamais ses droits : opposer à l’évidence une formule démontrée, c’est à peu près comme si, pour refuser à un homme le droit de vivre, on alléguait devant lui un acte de décès authentique.

La moyenne d’un grand nombre de mesures, quand on écarte les erreurs constantes, est une mesure plus précise que celles qui l’ont fournie; l’erreur probable est diminuée, et la précision augmente comme la racine carrée du nombre des épreuves.

Fourier connaissait ou soupçonnait cette règle : pour prendre la hauteur de la pyramide de Chéops, il fit simplement mesurer par des soldats les 203 marches de ce gigantesque escalier. « Vos hommes manquent d’habitude, disait-on ; les surfaces sont irrégulières, les arêtes inclinées; aucune précision n’est possible, et l’erreur commise sur chaque marche sera multipliée par 203. — Elle le sera par 14 seulement, répondit-il résolument, car 14 est la racine carrée de 203.» La comparaison avec une mesure plus exacte aurait pu le contredire ; on ne la fit pas.

Entre les grandeurs inconnues enchaînées par les formules, la science, dans chaque problème, choisit pour la déterminer directement, la plus accessible aux mesures. Pour peser l’obélisque, il n’existe pas de balance; une chaîne d’arpenteur donnerait très lentement et très mal la distance de Paris à Rome. La théorie fournit des équations, on les accepte toutes, chacune est irréprochable, l’algèbre dégage les inconnues; les chiffres malheureusement se contredisent toujours. Que doit-on faire? Entre des mesures discordantes, on prend la moyenne ; pour des équations, ce mot n’a pas de sens; à chacune, cependant, il faut un rôle; la méthode des moindres carrés enseigne et prescrit la meilleure combinaison.

Cette méthode, inventée par Gauss, proposée pour la première fois par Legendre, a procuré plus d’une déception.

La masse de Jupiter, déduite par Newton de l’étude des satellites, corrigée peu à peu par les progrès des observateurs, calculée