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Appliquée aux dés, aux cartes, au jeu de rouge et de noire, aux numéros pairs ou impairs, à pile ou face, la théorie des chances est indiscutable. Rien n’y altère la rigueur des preuves, l’algèbre exécute plus rapidement les dénombremens qu’avec de la patience et du temps on pourrait faire sur ses doigts. Tous les arrangemens sont également possibles ; que les plus nombreux se présentent, il n’y a pas de sujet d’étonnement.

La physique, l’astronomie, les phénomènes sociaux, semblent, dans plus d’un cas, régis par le hasard. Peut-on comparer la pluie ou le beau temps, l’apparition ou l’absence des étoiles filantes, la santé ou la maladie, la vie ou la mort, le crime ou l’innocence à des boules blanches ou noires tirées d’une même urne ? Le même désordre apparaît dans les détails, cache-t-il la même uniformité dans les moyennes ? retrouvera-t-on dans les écarts les traits connus et la physionomie des effets du hasard ?

Tout événement qui alterne avec son contraire est comparable aux boules blanches ou noires puisées dans un sac ; le sac est-il toujours le même ? est-il ouvert ? Une force intelligente, se proposant une fin, intervient-elle dans une mesure petite ou grande pour corriger les caprices du sort ? Le raisonnement ne peut devancer l’expérience ; les observations, soigneusement discutées, condamnent, en même temps que les sceptiques rebelles à tout rapprochement, les esprits absolus qui prétendent tout soumettre au calcul.

L’empreinte du hasard est marquée, très curieusement quelquefois, dans les nombres déduits des lois les plus précises. Une table de logarithmes en témoigne. Pour 10,000 nombres successifs, dans les tables à 10 décimales de Véga, je prends la septième figure du logarithme : rien dans ce choix n’est laissé au hasard. L’algèbre gouverne tout, une loi inflexible enchaîne tous les chiffres. Si l’on compte cependant les résultats, on aura, à très peu près, sur 10,000, mille fois le chiffre 0, mille fois le chiffre 1 et ainsi des autres ; la formule se conforme aux lois du hasard. Vérification faite, sur 10,000 logarithmes, le septième chiffre s’est trouvé 990 fois égal à 0, 997 fois à 1, 993 fois à 2, 1012 fois à 4. En partageant les 10,000 nombres en dix séries et prenant pour chacune les moyennes des écarts, j’entends la différence entre le nombre des apparitions de l’un des chiffres et le nombre normal 100, et les comparant à la moyenne du carré des écarts, le rapport des nombres, qui, d’après les lois du hasard, devrait être 1,570796, moitié du nombre que les géomètres désignent habituellement par la lettre π, se trouve égal à 1,561 ; le même calcul fait à l’aide du chiffre 1 donne 1,598, et la moyenne de ces deux résultats est 1,579. Les trois premiers chiffres sont exacts.