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écarts peut être prédite avec confiance, elle sera 4 si la série est de 100 épreuves, 40 si elle est de 10,000. La même certitude s’attache à la moyenne des carrés des écarts, à celle de leurs cubes, de leur quatrième puissance. Pour des séries de 100, par exemple, la moyenne des carrés est 25. Ces prédictions sont sûres. N’est-ce pas, pour ainsi parler, miracle de voir un hasard aveugle dicter des résultats exactement prévus ?

Aidée de ces théorèmes singuliers, la dextérité des géomètres a su, chose merveilleuse, rencontrer sur ces voies détournées une solution de la quadrature du cercle. Si, dans une série d’épreuves suffisamment nombreuses, on divise la moyenne des carrés des écarts par la moitié du carré de la moyenne des écarts, le quotient est égal, à très peu près, à la surface du cercle de rayon unité. Avec de la patience, le succès est certain.

Beaucoup de joueurs, entêtés de cette régularité nécessaire dans les moyennes, cherchent, dans les coups qui précèdent celui qu’ils vont jouer, une indication et un conseil. Ce n’est pas bien entendre les principes. La science, à ces chimères, ne reste pas sans réponse. La décision du bon sens suffit, elle est nette et claire : à quoi bon la traduire en algèbre ? Le préjugé est opiniâtre. Les géomètres perdraient à le combattre leur temps et leurs formules.

L’illusion repose sur un sophisme : on allègue la loi de Bernoulli comme certaine ; elle n’est que probable. Sur 20,000 épreuves, dit-on, à la roulette, la noire ne peut pas sortir plus de 10,500 fois, l’assertion de la science est formelle. Si les 10,000 premières parties ont donné 6,000 noires, les 10,000 suivantes ont donc contracté une dette envers la rouge. On fait trop d’honneur à la roulette ; elle n’a ni conscience ni mémoire. En supposant qu’à une rencontre inouïe succédera, pour la réparer, un nouvel écart de la règle, on n’efface pas l’invraisemblance, on la redouble.

La certitude des lois de Bernoulli est celle d’un chasseur très adroit, qui, connaissant son arme, est certain d’abattre une bête féroce à dix pas. La bête se présente, il la manque ; en la voyant, furieuse, se ruer et l’assaillir, doit-il rester impassible, confiant dans la certitude de l’avoir tuée ?


II.

Le hasard sans choisir régularise tout ; la raison en est que, si toutes les combinaisons, dont le nombre est immense, étaient présentes matériellement, les moins nombreuses deviendraient introuvables. Le hasard reste libre, mais la carte est forcée,