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l’avantage réservé au banquier, serait 6 millions ; l’écart moyen en plus ou en moins, 800,000 francs seulement; s’il gagne moins de 5 millions, le banquier a eu du malheur ; un gain inférieur à 4 millions serait très invraisemblable et il y a plus de dix mille à parier contre un, que son gain ne s’abaissera pas au-dessous de 2 millions.

La loi de Bernoulli, quand elle est mise en défaut, révèle une cause perturbatrice du hasard.

Tels se montrent souvent les résultats du suffrage universel. Supposons 10 millions d’électeurs. Attribuons 6 millions de votes à un parti, celui de la majorité, à millions seulement à la minorité. On forme 1,000 collèges, de 10,000 électeurs chacun : tout candidat qui réunira plus de 5,000 suffrages sera élu. L’opinion approuvée par les quatre dixièmes des votans serait représentée proportionnellement par 400 députés sur 1,000. Les lois du hasard ne lui accordent rien. Sur 1,000 représentans, pas un seul pour elle. Le calcul réduit à zéro, pour ainsi dire, la vraisemblance de toute autre hypothèse. Supposons, pour donner une idée des chiffres, que saisissant l’occasion pour tenter la chance, un joueur s’engage, dans les conditions électorales supposées, à payer autant de millions qu’il se trouvera de députés de la minorité vainqueurs dans la lutte. On ne pourrait pas, en échange de ses promesses, — c’est la réponse rigoureuse, sinon exacte, du calcul, — lui offrir équitablement plus d’un centime.

Ce centime pourrait lui coûter cher. Les minorités, même beaucoup moindres, obtiennent quelques représentans. Les électeurs n’étant pas associés par le sort, les influences locales triomphent des lois du hasard. C’est avec grande défiance qu’il faut, sur les traces de Condorcet, éclairer les sciences morales et politiques par le flambeau de l’algèbre.

Les étoiles, sur la voûte céleste, semblent semées sans ordre et sans loi; 3,000 environ, pour qui a la vue bonne, brillent au-dessus de notre horizon. Ptolémée, dans son catalogue, n’en inscrivait que 1,020. Un astronome dont le nom est resté obscur sans injustice, l’archevêque Mitchell, a fait d’une idée ingénieuse et juste une application trop hardie. Si le hasard distribuait sur la voûte du ciel 3,000 points brillans, quelle serait la distance moyenne de chacun d’eux à son voisin le plus proche? Le problème est intéressant; Mitchell ne le résout pas ; mais remarquant dans la constellation du Dragon deux étoiles situées à trois minutes l’une de l’autre, il trouve que contre un tel rapprochement, on pourrait, a priori, parier 80 contre 1 ; dirigeant ensuite ses calculs sur le groupe des Pléiades, Mitchell conclut à 500,000 chances contre une pour qu’une cause, en dehors du hasard, ait rapproché les six étoiles.