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La mort a beau faire son œuvre et enlever les princes comme les autres hommes, les affaires des peuples suivent leur cours. Tandis que le plus jeune fils de la reine Victoria, le duc d’Albany, vient de mourir subitement à Cannes, où il était en partie de plaisir, l’Angleterre reste dans des conditions passablement laborieuses qui se compliquent d’une maladie du premier ministre et peut-être même de divisions dans le conseil. Le fait est que, pour le moment, l’Angleterre n’a que le choix des difficultés et semble passer par une phase critique. D’un côté, les affaires d’Egypte pèsent plus que jamais de tout leur poids sur elle et sont loin de suivre une marche satisfaisante. Le général Graham n’a eu que quelques succès chèrement achetés, et au lieu de poursuivre une campagne qui a déjà éprouvé ses soldats, qui pouvait devenir fatale, il paraît avoir reçu l’ordre de se replier sur Souakim, peut-être même d’abandonner la ville de la Mer-Rouge, de ramener sa petite armée dans la Basse-Egypte. Le général Gordon est resté à Khartoum sans qu’on sache exactement ce qu’il est devenu, s’il est libre ou captif, s’il n’a pas été réduit à livrer la ville aux bandes du mahdi. Du grand effort qui a été tenté pour relever l’ascendant anglais, pour rétablir un certain ordre dans ces régions troublées du Soudan, il ne reste à peu près rien, et le cabinet de Londres ne semble pas lui-même être parfaitement d’accord sur des résolutions nouvelles, sur la manière de sortir d’une situation qui devient de plus en plus critique. D’un autre côté, la réforme électorale qui a été proposée au parlement, qui passe en ce moment par l’épreuve d’une seconde lecture, rencontre une assez vive opposition qui peut en rendre le succès difficile. C’est à ce moment que le chef du cabinet, M. Gladstone, est tombé malade; il est du moins assez atteint dans sa santé pour être condamné à un repos temporaire. M. Gladstone est, de plus, d’un âge avancé qui peut ne plus lui laisser toutes ses forces pour soutenir les luttes épuisantes du parlement. Or M. Gladstone, c’est l’âme du cabinet libéral, c’est l’autorité et la force du gouvernement de Londres aujourd’hui. Lui absent, son lieutenant, lord Hartington, peut sans doute diriger honorablement les débats de la chambre des communes; mais ce n’est plus M. Gladstone conduisant ou ramenant sa majorité.

Est-ce l’effet de la maladie du premier ministre? Est-ce la suite des mécomptes qu’on a éprouvés dans les affaires égyptiennes? Toujours est-il que le ministère paraît un peu ébranlé et que l’opinion, sans lui être encore décidément défavorable, semble se refroidir pour lui. Depuis quelque temps, il y a eu quelques élections qui ont été presque toutes au profit des tories, au désavantage des libéraux, et un des signes les plus expressifs de cet ébranlement de l’opinion est peut-être l’élection récente d’un conservateur à la place du dernier speaker de la chambre des communes, sir Henry Brand. La faiblesse du ministère libéral a été