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en argent. Par conséquent, en réalité et pour le jeu régulier des opérations de la Banque de France, il y a 1 milliard d’or contre 3 milliards et plus de billets, c’est-à-dire une circulation fiduciaire de 2 milliards à découvert. Peut-on supposer qu’une pareille masse de papier n’ait pas une influence considérable sur le mouvement des affaires? Elle en fausse évidemment la sincérité. En toutes choses, comme a dit notre immortel Bastiat, il y a « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. » Ce qu’on voit dans les temps ordinaires, quand le papier est abondant, ce sont les relations commerciales qui sont faciles, l’argent qui est à bon marché ; on se laisse aller à toute espèce de spéculations sans avoir aucun frein qui vous arrête. Les salaires augmentent et tout le monde paraît heureux : voilà ce qu’on voit. Mais, ce qu’on ne voit pas, c’est que cette abondance de papier, ces facilités de crédit amènent des excès, et quand les excès arrivent, on ne sait plus comment les conjurer, ou, si l’on veut les conjurer par le seul moyen qui existe, l’élévation du taux de l’escompte ou la restriction du crédit, il ne manque pas de gens qui vous blâment et qui voudraient qu’on étendît encore la circulation fiduciaire, comme s’il fallait donner toujours la même dose d’alimens à quelqu’un qui est malade pour en avoir trop pris.

Nous sommes très partisans de la liberté d’émission, mais des précautions nous paraissant nécessaires. L’état est le juge suprême dans les questions de monopole; c’est lui qui décide, par exemple, dans quelle mesure devront se mouvoir les tarifs de chemins de fer; il pourrait de même, comme cela se fait en Allemagne, mettre un impôt sur toute circulation de papier qui dépasserait un certain chiffre. De cette façon, la liberté de l’émission serait respectée; la banque pourrait émettre autant de billets qu’elle le jugerait utile, mais comme l’excédent au-delà du chiffre fixé serait frappé d’impôt, on ne remettrait qu’à bon escient et comme un moyen de salut préférable au cours forcé. Cette restriction judicieuse est la soupape de sûreté pour protéger contre la trop grande extension du papier-monnaie; elle vaut mieux que les précautions prises en Angleterre par l’act de 18’4. Avec cet act, lorsqu’on arrive à l’extrême limite de l’émission autorisée et qu’on ne peut plus mettre un billet en circulation sans qu’il ait sa représentation exacte en numéraire, s’il se manifeste des besoins exceptionnels, on est obligé de demander au gouvernement un bill d’indemnité pour suspendre l’act de 1844, et il ne faut souvent qu’un très léger supplément de billets pour sauver la situation. Mais, en attendant, comme l’obtention de ce bill est toujours incertaine, le moment qui précède est extrêmement critique; chacun se précipite sur les réserves que possède