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toutes les marchandises s’en ressentent, haussent de prix, et il faut donner plus de monnaie pour se les procurer. Cette théorie est incontestable, autrement on ne s’expliquerait pas comment le numéraire a pu se déprécier depuis trente ou quarante ans par suite de l’invasion de l’or de la Californie et de l’Australie et comment même il a pu perdre de sa valeur après la découverte des premières mines de l’Amérique. Cela ne veut pas dire que cette dépréciation soit toujours un malheur, pas plus que ne l’est celle d’autres marchandises ; elle a pour conséquence de mettre plus de choses à la portée d’un plus grand nombre et c’est un progrès dans le sens démocratique, mais il y a une mesure à tout, et de même qu’une trop grande baisse de prix sur les marchandises, trop rapide surtout, amène de grosses pertes qui ne sont pas compensées immédiatement par d’autres avantages ; de même, les instrumens d’échange, en devenant trop abondans, impriment à tout un mouvement de hausse exagéré qui dérange toutes les fortunes. La stabilité de valeur, en fait de monnaie, si elle n’est pas l’idéal, est du moins une chose fort désirable et qui s’accorde mieux avec le progrès qu’une dépréciation trop rapide. Or cette stabilité de valeur, nous sommes loin de la posséder dans l’état actuel de nos instru- mens d’échange avec un gros stock d’argent qui subit une dépréciation spéciale de 15 à 16 pour 100, et une circulation fiduciaire qui, dépassant 3 milliards, laisse une trop grande somme à découvert.

Chaque semaine, dans la publication du bilan de la Banque de France, on annonce 1,950 millions d’encaisse métallique contre 3 milliards de papier en circulation; c’est là un leurre auquel il ne faut pas se laisser prendre : dans ces 1,950 millions il y a 950 millions d’argent, et l’argent n’est plus la représentation exacte de la circulation fiduciaire; la Banque de France ne pourrait pas s’en servir pour rembourser ses billets, si elle tentait de le faire sur une échelle un peu large, lorsque nous avons le change défavorable et qu’on demande des métaux précieux pour les exporter en Angleterre et en Allemagne, même dans les pays où règne encore le double étalon, elle verrait immédiatement le change monter à des taux inusités, à 26 ou 27, par exemple, pour 1 livre sterling payable à Londres. Aussi la Banque de France ne le tente-t-elle pas ; elle se contente de recourir à des petits moyens qui restent sans efficacité sur le fond des choses; elle met en circulation le plus qu’elle peut les pièces de 10 francs d’or, qui ne sont guère exportables, et elle donne des pièces de 5 francs d’argent dans ses paiemens particuliers, en demandant au trésor public d’en faire autant. Ces petits moyens, je le répète, restent sans efficacité, car l’argent n’entre pas sérieusement dans la circulation, il revient, très vite à son point de départ. Et si la crise devait durer, et le change défavorable se prolonger,