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quatre ans. Si encore ces dépenses un peu excessives n’avaient eu lieu qu’à Paris ! mais elles se sont étendues à la province. On a beaucoup construit à Marseille, à Bordeaux, à Lyon, à Lille, etc.; il faut joindre à cela les dépenses extraordinaires faites par l’état pour subventionner les chemins vicinaux et élever un peu partout et trop vite ces monumens fastueux qu’on appelle des écoles; les chemins de fer ont également absorbé chaque année pour l’extension de leurs réseaux de 360 à 400 millions; avec tout cela, on arrive bien vite à une dépenses annuelle de près de 2 milliards; c’est un gros chiffre.

Ce qu’il y a de particulièrement regrettable dans ces travaux extraordinaires, lorsqu’ils sont entrepris sur une trop grande échelle, c’est non-seulement qu’ils immobilisent une grande quantité de capitaux qui pourraient trouver un meilleur emploi, servir, par exemple, plus qu’ils ne l’ont fait, à développer l’outillage industriel et commercial du pays, mais qu’ils agissent aussi sur la main-d’œuvre et créent des prix artificiels. Il n’est contestable pour personne que le prix de la main-d’œuvre s’est élevé à Paris dans des proportions inusitées depuis quelques années.

Les constructions reviennent aujourd’hui à 25 ou 30 pour 100 plus cher qu’il y a dix ans, et comme on en a élevé, dans ces conditions, beaucoup plus qu’il n’en faudrait pour les besoins, on ne trouve plus de locataires pour les occuper. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les quartiers neufs de la capitale et l’on sera frappé de la quantité de maisons qui ne sont pas habitées. Ce n’est point seulement sur le prix des constructions que se fait sentir l’élévation de la main-d’œuvre; elle agit encore, par une conséquence naturelle, sur d’autres industries; les fabricans, les ouvriers qui produisent ce qu’on appelle l’article de Paris, si apprécié au dehors, se plaignent de ne plus trouver les mêmes débouchés qu’autrefois. A quoi cela tient-il, sinon à l’augmentation des prix par suite des salaires trop élevés ? On a beau dire que ces articles sont mieux confectionnés à Paris que partout ailleurs; c’est possible, mais on les imite ailleurs, et s’ils sont moins bien faits, ils sont aussi à meilleur marché. Et, dans nos sociétés démocratiques, le bon marché est le maître du monde.

Nous venons de lire dans un livre très intéressant, publié il y a deux ans par M. René Lavollée sur la situation des ouvriers dans les différens états de l’Europe[1], deux choses fort curieuses et qui appellent vivement l’attention. La première, c’est que, dans ces différens états, excepté peut-être l’Angleterre, les salaires de

  1. 'Les Classes ouvrières en Europe, études sur leur situation matérielle et morale, par M. René Lavollée. Paris, 1882: Guillaumin.