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la science et l’application des procédés économiques, on a pu produire à la fois en plus grande quantité et à meilleur marché. On dira peut-être que les étoffes d’aujourd’hui sont moins solides et durent moins que celles d’autrefois, c’est possible, mais on a plus de moyens de les renouveler, et comme ce renouvellement favorise un des goûts de la société moderne, qui est le changement, tout est pour le mieux. Ce qui a augmenté encore de prix et ce n’est pas un des symptômes le moins caractéristiques du progrès de la richesse, ce sont les jouissances de luxe ; il faut payer davantage aujourd’hui pour aller au théâtre, pour acheter des objets d’art, pour avoir une voiture et des chevaux, pour entretenir un nombreux domestique ; cela tient à ce qu’il y a plus de gens pouvant se procurer ces jouissances exceptionnelles. On peut en médire, à certains points de vue, à celui de la morale sévère, par exemple, et de la simplicité d’autrefois, mais c’est bien un effet de la richesse publique, et si les jouissances de luxe ont des inconvéniens, elles ont aussi leurs avantages. Le revenu général de la société sur lequel nous vivons tous, qui était, après les guerres du premier empire, en 1815, d’une quinzaine de milliards au plus, est aujourd’hui au moins de 30 milliards. On l’a même porté à 37, ce qui est peut-être un peu exagéré. Il s’est toujours beaucoup accru, et toutes les classes de la société en ont profité; on peut même dire que, s’il y en a une qui en a plus profité que les autres, malgré la crise qui existe en ce moment et les ralentissemens du travail, c’est la classe ouvrière. Avant cette crise et en temps normal, le salaire moyen des ouvriers, depuis quarante ou cinquante ans, a certainement augmenté de 100 pour 100, et le prix des choses nécessaires à la vie s’est accru au plus de 40 à 50 pour 100, et comme les ouvriers forment les gros bataillons, ce sont leurs consommations surtout qui ont déterminé l’augmentation des prix. On ne peut que s’en réjouir, cela prouve qu’il y a plus de besoins satisfaits, et c’est le but de la civilisation.

Mais s’il y a des causes naturelles à la cherté des choses, il y en a aussi d’artificielles. Ici même, dernièrement, dans un excellent travail qu’il a publié sur la question, notre collaborateur, M. André Cochut, a signalé ces causes artificielles ; il a cru les trouver dans les effets de l’agiotage, dans les spéculations désordonnées qui ont eu lieu depuis plusieurs années à la Bourse de Paris et ailleurs. Ces spéculations ont eu lieu certainement dans des proportions extraordinaires et ont été suivies d’un krach qui a amené des pertes considérables. Mais ont-elles eu tout l’effet que leur attribue notre honorable collaborateur ? Peuvent-elles être rendues responsables, sur une grande échelle, de l’augmentation des prix? Nous en doutons un peu. D’abord elles n’ont eu aucun effet sur la cherté des choses