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200 millions, il fallait pour l’augmenter une autorisation nouvelle. Tout le monde savait d’ailleurs que cette augmentation avait pour but de satisfaire moins les intérêts du commerce que ceux du trésor, et on sentait la nécessité de mettre un frein à l’empiétement de celui-ci. Le public livré à lui-même ne s’en serait point inquiété. N’était-il pas rassuré par une encaisse de près de 2 milliards contre 3 milliards 100 ou 200 millions de billets? C’est beaucoup plus que le minimum classique du tiers, qui, dit-on, doit exister entre le numéraire et la circulation fiduciaire, et n’avait-on pas vu ces mêmes billets circuler librement sans dépréciation aucune pendant la guerre et la commune, alors que l’encaisse n’atteignait pas le quart et même le cinquième de l’émission et que tout était troublé dans notre pays? Il n’y avait donc point, je le répète, à compter beaucoup sur le public pour mettre une limite à la circulation fiduciaire.

Quelques esprits pourtant se sont préoccupés de la situation : ce chiffre de 3 milliards 500 millions de billets pouvant circuler avec une garantie en numéraire même de près de 2 milliards ne les rassurait pas complètement; ils voyaient, après tout, un découvert possible de 1,500 millions pour les billets. Et comme une partie de ce découvert répondait à des besoins qui ne sont pas ceux pour lesquels la banque a été créée et devait venir en aide au gouvernement, ils en concluaient qu’il pouvait y avoir un double danger à un certain moment : danger pour le trésor, qui abuserait des ressources qu’il trouverait auprès de la banque, et danger pour la sécurité même de la circulation fiduciaire, qui pourrait se trouver non suffisamment garantie. Alors on a agité de nouveau la question de la liberté des banques d’émission, opposée au monopole, et on s’est demandé si avec cette liberté on n’aurait pas plus d’avantages et moins d’inconvéniens. Cette question a été surtout discutée dans une des dernières réunions de la Société d’économie politique à Paris. On a parlé de tous les pays où la liberté d’émission existe : ce sont, en Europe, de petits états; c’est la Suisse, l’Ecosse, la Suède, etc. Il résulte de ce qu’on a dit que, s’il n’y a pas de monopole dans ces états pour l’émission des billets au porteur, la liberté qui est laissée d’en créer autant qu’on veut est de telle nature, entourée de telles restrictions, que les banques n’ont pas grand intérêt à en user et la circulation fiduciaire est très peu étendue. En Suisse, toute banque qui veut émettre des billets au porteur est tenue d’abord d’en demander l’autorisation au pouvoir fédéral, elle doit ensuite avoir en espèces métalliques ko pour 100 de la circulation; il faut, en outre, qu’elle dépose dans les caisses de l’état une proportion assez considérable de papier du gouvernement. Enfin, toutes les banques qui émettent