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C’est par l’enseignement qu’il a bien mérité des lettres et de son pays, qu’il a renouvelé la critique à Naples et peut-être en Italie. Ne l’oublions pas, il était sorti de l’école de Puoti, c’est-à-dire d’une classe de rhétorique, où on l’appelait « le grammairien ; » il s’en dégagea de lui-même et combattit le premier le pédantisme des arcadies, la littérature stagnante où croupissait le génie italien. M. Molmenti l’a dit énergiquement[1] : « La voix mâle de De Sanctis retentit pleine d’indignation dans ce gynécée intellectuel. C’était une pousse jeune et vigoureuse qui avait crû sur l’arbre desséché de la rhétorique. Il renia ses premières études et ses premières impressions. » Aux rondeurs, aux élégances, aux archaïsmes de Puoti, son vieux maître, il opposa le parler net et franc, la langue expressive et colorée des artistes ; il devina cette critique sereine et large qui ressemble à la charité de l’évangile et, comme elle, comprend tout, explique tout, supporte tout ; la critique humaine, désintéressée, sans envie, sans arrogance, celle « qui ne se réjouit pas de l’injustice, mais qui se réjouit de la vérité. » Ce n’est pas tout : il étudia les littératures étrangères et apprit aux jeunes à sortir de chez eux ; il les conduisit à Paris, à Londres, à Weimar et leur enseigna que tout n’est pas Italie au monde. Bien plus, il osa le premier leur dire ce que la plupart d’entre eux ne croient pas encore, que leurs poètes, même les plus grands, ne reçurent pas du ciel le don d’infaillibilité, « Un faux patriotisme nous fait croire qu’il est beau de dissimuler les défauts de son pays : c’est le ridicule des peuples et des hommes faibles. Quand donc oserons-nous regarder le prochain avec indulgence et demeurer sévères envers nous-mêmes ? Je ne sais s’il existe une petitesse plus coupable que cette honte de dire aux autres ce qui crie dans notre conscience : une fausse rougeur qui nous rend embarrassés, vils à nos propres yeux, jusqu’à ce que, nous mettant à l’aise dans une hypocrisie commode, nous acquérions la face dure de l’impénitent, mentant non-seulement aux autres, mais à nous-mêmes. Défaut confessé est à moitié pardonné ; osons nous regarder en face si nous voulons guérir. Heine a fouetté jusqu’au sang ses compatriotes, et il y a des imbéciles qui l’appellent un mauvais Allemand. Tant que dure en un peuple la mauvaise habitude de pallier ses misères, je doute de sa grandeur. Et il ne me semble pas moins mesquin de glorifier plus qu’il ne faut, en faisant, par exemple, de Pétrarque un David et un Platon : c’est une grande pauvreté qu’un tel excès d’outrecuidance ou d’hypocrisie. Quant à moi, j’ai cru convenable à la dignité de ma patrie et à ma sincérité d’homme de dire ouvertement ce que je pensais, de présenter

  1. P.-G. Molmenti, Nuove Impressioni letterarie. Turin, 1879 ; Camilla et Bertolero.