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que l’étude de la nature dans les limites établies par les livres saints. Et on se rabattit sur la grammaire, le style, le nombre, la musique des mots : l’académie de la Crusca. surgit et devint le concile de Trente de la langue.

Ce tribunal proscrivit les dialectes, déclara que le toscan seul était de l’italien et traita l’italien comme du latin, c’est-à-dire comme une langue achevée et close : il ne restait plus qu’à en dresser l’inventaire. Les vocables furent partagés en deux classes, les purs et les impurs, les élus et les damnés. C’est ainsi que l’italien, séparé de l’usage vivant, devint une chose morte. Hors de Pétrarque et de Boccace point de salut. Le choix des termes, la mélodie de la phrase, telle fut l’unique préoccupation des têtes vides. On cite un prédicateur qui composait ses périodes en se faisant accompagner par des musiciens. La parole acquit une personnalité, fut isolée des choses, devint par elle-même, non par ce qu’elle exprimait, belle ou laide, riche ou pauvre, de bonne famille ou de basse extraction. On recherchait, non le mot propre, mais le mot orné ; on n’appelait pas les choses par leur nom, mais on les enveloppait de périphrases. Ce qu’on voulait avant tout, c’était, — Sperone Speroni l’avoue, — ogni cosa con altrui voce adornare, c’est-à-dire parer le geai des plumes du paon. L’attention, toute en dehors, ne se portait que sur la surface ; la littérature devint artificielle, mécanique et n’eut d’autre idéal que la régularité, la correction. En ce temps-là (dès la seconde moitié du XVIe siècle), on ne demandait à la tragédie et à la comédie que de se conformer aux règles. Une seule chose, au dire de Speroni, manquait à l’Italie, le genre héroïque ; ce grammairien perdit son temps à le chercher dans Pétrarque : il restait donc, après le poète impeccable, infaillible, quelque chose à découvrir. Un problème se posa dès lors impérieusement : trouver l’héroïque. « En ce temps-là, l’Angleterre avait son Shakspeare, Rabelais et Montaigne, pleins de réminiscences italiennes, préludaient au grand siècle ; Cervantes écrivait son Don Quichotte et Camoëns ses Lusiades. Et nos critiques écrivaient les avertissemens grammaticaux et les dialogues sur l’amour platonique, sur la rhétorique, sur la vie active et contemplative ; ils cherchaient l’héroïque et ne le trouvaient pas. »

Nous avons traduit littéralement ces dernières phrases pour montrer le côté faible de De Sanctis. Il manque un peu de rigueur et de précision, voit trop en bloc, brouille les dates. « En ce temps-là, » nous dit-il ; de quel temps veut-il parler ? Prenons une année, 1575 ; à ce moment, la Jérusalem du Tasse était achevée ; donc les Italiens avaient déjà trouvé l’héroïque, Les Lusiades n’avaient paru que trois ans plus tôt, en 1572. L’Arancanie d’Ercilla ne devait commencer à paraître que deux ans plus tard,