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se moquait de lui en l’appelant pennarulo (plumassier ou plumitif) : les ministres le toléraient ou le protégeaient. Son palais imposait aux jeunes gens : un escalier monumental, des laquais en gants blancs, une salle grandiose entièrement tapissée de livres ; la science était logée là comme une dame de grande maison. Quant au maître, un peu grave et compassé dans ses écrits, il était tout autre en ses manières; affable et très vif, plein de mots et de lazzi à la napolitaine, il ne professait point, ne montait pas en chaire : il causait, racontait souvent, s’amusait et amusait. Il n’y avait là aucun air d’école et de maître : c’était bien plutôt une réunion d’amis, une sorte d’académie affranchie de formalités et de règles. Les nouveau-venus, les provinciaux, en abordant Puoti, lui disaient : « Maître; » il s’en fâchait et voulait être appelé marquis. Quelques-uns, sortant du séminaire, couraient lui baiser la main, il la retirait vivement et disait : « On ne baise la main qu’au pape. » Ni bancs ni pupitres, on s’asseyait sur de belles chaises et les leçons se passaient en exercices sur l’art d’écrire : traductions, compositions, lectures mêlées d’anecdotes, de réflexions, de jugemens, d’accès de colère et d’excuses aimables ; c’étaient les étudians qui travaillaient ou plutôt les jeunes gens, car le mot d’étudiant était proscrit. Puoti les appelait : « mes jeunes. » Un jour, il présenta De Sanctis à un grand personnage qui s’avisa de dire: « Ah! voilà donc votre disciple ? — Non pas disciple, corrigea le marquis, mais collaborateur. »

On peut s’imaginer l’importance de cette école, en un pays comme Naples, sous un régime comme celui de Ferdinand; en apprenant l’italien, les «jeunes » apprenaient l’Italie. Révolutionnaire sans s’en douter, le marquis Basilio Puoti, — qui ne rêvait, dit-on, que de devenir le précepteur du prince héréditaire et mourut de chagrin parce qu’il ne le fut pas, — inspira bien innocemment à ses élèves cette idée alors séditieuse qu’il y avait une langue et par conséquent une patrie commune : c’est ainsi qu’une classe de grammaire, dirigée par un bourbonien bien tranquille, prépara de loin les voies à Victor-Emmanuel. Cependant l’école de Puoti ne pouvait longtemps durer : on y donnait trop d’importance aux mots et à la partie mécanique de l’art d’écrire. Le marquis avait rendu de grands services, mais il s’agissait d’aller plus loin. Il y eut bientôt, parmi les élèves, des insurgés ou plutôt des dissidens; le jeune De Sanctis fat l’un des premiers hérétiques. Il osa dire un jour, en séance publique, que le purisme n’avait plus de raison d’être, parce qu’il était déjà vainqueur et que désormais il devait être question, non plus de langue, mais de style. « Le brave homme en fut content et accepta la théorie pour bonne. Mais, ajoute l’élève émancipé, quand je voulus plus tard tirer les conséquences de cette théorie,