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lui résiste pas. Il n’a jamais eu d’ennemi et n’en aura jamais[1]. «  Voilà pourquoi il devint ministre à Turin, où il se remit bravement à l’œuvre; on lui doit beaucoup d’innovations utiles, notamment les pensions accordées aux jeunes docteurs de mérite pour qu’ils puissent aller voir du pays et des écoles en Allemagne et ailleurs. Au ministère, De Sanctis fit tant de bonnes choses et respecta si peu la routine, qu’il souleva toute sorte d’opposition; il s’en revint alors à Naples, Gros-Jean comme devant, avec deux cents francs à dépenser par mois. Aussi dut-il se remettre à travailler pour vivre. Ce fut très heureux, il remonta en chaire, à sa vraie place ; nous l’y retrouverons plus tard.

Cependant il ne put jamais se désintéresser de la politique. En 1876, il voulut encore se présenter à la chambre : il y eut des intrigues, des tiraillemens, un scrutin de ballottage; De Sanctis, quoique paresseux, un peu frileux et pas très jeune (c’était en plein hiver et il avait cinquante-huit ans), résolut de se présenter lui-même à ses électeurs et alla revoir son pays après quarante ans d’absence. Ce fut donc une tournée électorale, qu’il a racontée lui-même dans le plus piquant de ses livres[2]; citons-en quelques traits qui nous montreront le pays et l’homme. Il s’arrêta d’abord à Rocchetta, où tout alla bien; il n’en fut pas de même à Lacedonia, l’antique Aquilonia (Principauté ultérieure). Il y avait là des adversaires, même des parens peu satisfaits, notamment un oncle Vincent, « petit vieux juvénile, fin mussau, esprit frais, chargé de mots et d’anecdotes qui partaient à tout moment. — Vous avez laissé mal administrer votre nom, dit l’oncle. — Eh bien ! me voici, fit De Sanctis, je viens l’administrer en personne. » Et il pensa : « Don Vincent est déjà conquis. » Mais, bah! l’oncle s’échappe par la tangente et ne par le que du sonnet. « De quel sonnet s’agit-il? — Comment! de quel sonnet? D’un certain sonnet qui était si beau et que vous avez

  1. Excepté Alexandre Dumas père, qui, étant à Naples où il dirigeait en 1861 son journal l’Indipendente, avait pris le galant homme en grippe, on ne sait trop pourquoi. Il écrivit alors à quelqu’un ce billet inédit, qui amusera peut-être :
    « Mon cher,
    « Donnez-moi donc tout ce que vous avez d’articles sur M. De Sanctis ou plutôt de M. De Sanctis. Je voudrais l’étriller. Je sais qu’il est de vos amis, mais La Rochefoucauld a dit qu’il y a toujours dans le malheur d’un ami quelque chose qui nous fait plaisir. C’est à ce titre que je compte sur vous,
    « Mille amitiés.
    « ALEXANDRE DUMAS. »
  2. Viaggio elettorale, racconto di Francesco De Sanctis. Naples, Antonio Morano, 1876.