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cet examen était de rigueur : on l’infligeait aux instituteurs de tout grade, même aux maîtres à danser. Ne voulant pas s’y soumettre, le patriote indigné, rejeté dans la vie politique, se mit à conspirer avec son ami Settembrini. Singulière conspiration qu’il a racontée lui-même : « Nous étions là, sur le Vomero (la colline où Naples est adossée), cinq ou six de toute couleur. Le péril me parut beau au moment où tout le monde se cachait. Je regardais Settembrini, toujours souriant, trouvant tout facile. On imaginait les chimères les plus folles : creuser une mine sous le palais royal paraissait un jeu... Cela finit par l’explosion d’un pétard. Telle fut la secte de l’unité italienne, qui fit tant de martyrs. Settembrini y passa le premier, c’était naturel : je l’appelais le facilone (le grand facile). Quand il nous présentait un nouveau-venu et qu’il nous disait : « Celui-ci est des nôtres, » j’en avais le frisson. Un de ces nôtres se mit à mes trousses, demandant de l’argent, sans quoi... hein ! Et il n’en avait jamais assez. Et on l’appelait le chevalier! Un jour, je lui tournai le dos, et j’avais grand’peur qu’il ne me dénonçât, mais il n’ouvrit pas la bouche. Peut-être le croyais-je pire qu’il n’était!.. »

De Sanctis trouva prudent de se sauver à Cosenza, dans les Calabres. « En ce temps-là, écrit-il, j’avais beaucoup d’orgueil, je me tenais pour un homme supérieur. Quand je montais en omnibus, je regardais mes voisins et je disais : « Je vaux pourtant mieux qu’eux tous. » Je vivais seul, je ne cherchais pas de relations et je pensais : «Viendra un jour où les autres voudront me connaître. » Je me comparais aux plus grands et je ne me trouvais pas si loin d’eux. J’arrive à Cosenza, et là, le plus grand était un brave chanoine qui avait fait ses humanités dans un séminaire et qui mâchonnait du latin. Et voilà qu’on se mit à discuter lequel, de lui ou de moi, devait passer devant. Et on m’accordait quelques lignes de plus par miséricorde. Je pensai alors que l’homme, en allant dans les petits centres, se rapetisse, même quand il y est tenu pour le premier... » On voit que l’excellent homme avait le sentiment de sa valeur; peut-être le montrait-il un peu trop : ce fut son unique faiblesse. Le commandeur Santangelo, dans le discours éloquent qu’il vient de prononcer devant le cercueil de son ancien maître, nous apprend qu’à Cosenza De Sanctis ne cessa pas de conspirer en échangeant des lettres chiffrées avec les patriotes du royaume. Aussi fut-il arrêté un beau jour et ramené, sous bonne escorte, à Naples, où il passa trois années au château de l’Œuf. Emprisonné sans jugement, il fut relâché sans procès, avec l’ordre de se retirer en Amérique; il n’alla que jusqu’à Turin, alors refuge des exilés. Le gouvernement piémontais lui offrit les subsides qu’il distribuait