« Naples est Naples et Morra passe tout, » disent-ils avec une conviction respectable. « Un Morrais (Morrese), c’est De Sanctis qui nous l’apprend, met une certaine coquetterie à faire bonne figure et à faire bien figurer ton pays. » Il s’habille de neuf aux jours de fête, reçoit largement, déteste la grossièreté, la ladrerie, et a dépensé « les yeux de la tête » pour avoir un beau cimetière, une route carrossable et des réverbères allumés la nuit. Dans ce milieu peu lettré, mais point rustaud, l’esprit de l’enfant s’éveilla de bonne heure. Il trouva quelqu’un, probablement un prêtre, qui lui apprit le latin. Il y reçut aussi les premières impressions politiques. Un jour, avant l’aube, sous un ciel noir et laid, il était sur le perron devant sa porte : « Il y avait là, raconte-t-il, beaucoup de gens assis ; ma mère me tenait dans ses bras, assise auprès des autres, je tremblais de froid. Vinrent des inconnus, et il y eut de grands embrassemens, et il s’éleva de grandes lamentations, et moi, voyant pleurer, je pleurais, criais et me serrais contre ma mère. » Ces inconnus, — il l’apprit plus tard, — étaient huit Morrais, tous de sa famille, qui, persécutés après les événemens de 1821, partaient pour l’exil : les huit hommes les plus distingués de l’endroit, peut-être de la province, et proscrits pour ce motif. « Voilà une noblesse plus moderne et qui vaut bien l’honneur de descendre des Hirpius. »
De Sanctis fut conduit tout jeune à Naples, où il devint écolier, puis maître de conférences; nous parlerons plus loin de ses études et de son enseignement. Pour le moment, sautons à 1848, l’année néfaste ; il avait alors trente ans et une brillante réputation de professeur; par ces raisons, comme beaucoup d’autres, il se crut un homme politique et voulut siéger au premier parlement de Naples. A cet effet, il se présenta aux électeurs d’Andretta, se croyant très connu dans le pays; mais on l’y avait oublié : ceux qui savaient son nom le croyaient encore étudiant, u Et voici venir à moi don Camille, plus jeune que moi, qui m’entoure, m’enjôle avec de belles paroles et me tire, moi et mes Morrais, dans un joli petit concert pour la formation du bureau électoral. Et comme toute la bonne foi était d’un côté, toute la malice de l’autre, il advint que don Camille fut élu et que je restai dehors. Ce bon tour, ajoute De Sanctis, m’est entré dans la tête et n’en a jamais voulu sortir. »
Après le coup d’état du 15 mai 1848, le professeur, désenchanté de la politique, voulut reprendre son enseignement, mais on le tracassa de mille manières : on était alors en pleine réaction, la police et le clergé faisaient tout ce qu’ils voulaient. La police épiait De Sanctis avec un zèle inquiétant; le clergé lui imposa, pour lui permettre de professer, un examen sur le catéchisme. En ce temps-là,