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peut contenir qu’un nombre très limité d’ouvrières, et elle est de proportion tellement minime qu’elle est encombrée par le seul linge de la maison. C’est une sorte de cave ; le fourneau, le cuvier à lessive, les auges à rincer, laissent à peine la place de se mouvoir ; le repassage se fait sous les combles, dans un grenier où l’on étouffe et où l’on se heurte la tête contre les solives. Dans la maison que l’on occupe, ne possédant que des ressources aléatoires, il est impossible de donner à la buanderie des dimensions qui permettraient d’en retirer un produit dont l’Hospitalité, c’est-à-dire la misère, bénéficierait. Ce serait tout autre chose si l’on pouvait établir une véritable blanchisserie, avec machine à vapeur et cuves de cuivre, dans de larges salles où les laveuses, debout devant les bassins, savonneraient, battraient, rinceraient le linge venu de l’extérieur, apporté des collèges, envoyé par les couvens, expédié par les particuliers. Les journalières, promptement devenues de bonnes laveuses, assureraient la prospérité de l’œuvre, et la rémunération de leur travail serait pour la maison une cause d’accroissement et une source de bienfaits. La supérieure est absolue dans son affirmation : « Le jour où nous aurons une blanchisserie, l’œuvre se suffira à elle-même et croîtra. » Plaise à Dieu qu’elle ait bientôt une blanchisserie !

La besogne ne chôme pas dans la petite maison, où le labeur est rendu plus fatigant encore par la distribution irrégulière et l’insuffisance du local. Si l’on est étonné d’y voir 115 femmes entassées, on est surpris que 9 religieuses seulement puissent subvenir aux nécessités d’un service ininterrompu. C’est du matin au soir qu’il faut être sur pied pour répondre aux malheureuses qui arrivent, pour recevoir les maîtres qui viennent demander une ouvrière ou une servante, pour diriger celles qui partent en condition, pour raffermir celles qui se découragent, consoler celles qui se désespèrent et verser à toutes le bien dont elles ont besoin. C’est là l’œuvre vraiment religieuse et charitable qui à toute minute s’accomplit, se renouvelle et ne se lasse pas. Une journée passée dans le parloir en apprend plus sur la misère de la femme et sur l’action de la charité que toutes les dissertations des moralistes et que tous les sermons. On les voit aux prises dans ces luîtes secrètes où l’âme se déploie tout entière. Si multiple, si farouche, si implacable que soit la misère, la charité ne recule jamais : elle aussi, elle prend toutes les formes, et à toutes les cruautés du sort elle oppose toutes les douceurs d’une maternité que rien n’épuise et qui semble se féconder à mesure qu’elle pénètre plus profondément dans les stérilités de l’infortune. De toutes les voluptés, la plus exquise est peut-être le sacrifice de soi-même.

Une œuvre comme celle de l’Hospitalité du travail pourrait-elle