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supérieure lui disait : « Ne vous désolez pas, ma bonne ; ce n’est qu’un mauvais temps à traverser, votre santé se rétablira et nous vous caserons. » La santé s’est enfin consolidée ; une place « très douce » a été offerte et acceptée avec gratitude. Sans la bonté des sœurs et si l’on s’était conformé à la lettre du règlement, que serait devenue cette malheureuse ?

Toutes les femmes qui viennent chercher un asile dans la maison ne sont pas valides et ingambes, il y en a qui sont infirmes, qui sont estropiées, auxquelles toute besogne suivie est interdite par une débilité physique que rien ne peut vaincre ; les renverra-t-on, celles-là, précisément parce qu’elles sont plus à plaindre que d’autres ? Non pas, elles sont au repos ; qu’elles y restent. Elles encombrent la maison, me disait-on, elles l’encombrent indéfiniment. Je l’ai vu. Le lieu de passage devient ainsi un refuge définitif. Cela aussi est contraire au règlement ; on ne s’en soucie, car la charité est insatiable, jamais elle ne se donne assez, jamais elle ne se donne trop. Une sœur dont l’accent méridional dénonçait l’origine, me disait : « Eh ! les pauvres ! ce serait grand’peine de ne pouvoir les garder, les chères ! » À côté de l’œuvre transitoire une œuvre ferme va naître ; je le crois, du moins, quoiqu’on ne m’en ait rien dit. On aura, — on a déjà, — tant de commisération pour les impotentes, les manchotes, les choréiques, les vieilles affaiblies qu’on ne saura leur refuser l’accès de la maison ; on ne tardera pas à s’apercevoir qu’elles la remplissent et alors on aura pour elles une maison spéciale dont elles seront les maîtresses et où les religieuses les serviront pour l’amour de Dieu. La charité a accompli de plus grands prodiges ; si l’on veut savoir comment les œuvres de la bienfaisance privée s’épanouissent et se dilatent, il faut regarder du côté de l’Hospitalité du travail ; je serais bien surpris si, de ce tronc qui sort à peine de terre, ne jaillissaient des rameaux féconds. L’arbre sera transplanté, car il pousse sur un terrain tellement étroit qu’il est menacé d’y être étouffe.

La maison est trop petite, si petite qu’elle en devient inhospitalière et qu’elle ment à son titre. Dans le réfectoire, il faut faire deux ou trois tablées successives, car on a beau presser les places les unes contre les autres, on ne peut réussir à y entasser que le tiers environ des pensionnaires. Pour la cuisine, il en est de même, et je ne devine pas comment on parvient à y préparer tant de repas et tant de portions. Escaliers resserrés, dortoirs où les lits se touchent, recoins qui servent de lavabos, cabinets noirs dont on fait des vestiaires, grenier qui est une chapelle, soupente où couchent la supérieure et deux religieuses, loge de tourière qui est une niche, tout est à jeter bas et à remplacer par d’amples salles que commande le nombre des femmes hospitalisées