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pour diriger l’Hospitalité du travail, car la maison d’Auteuil est à la fois une infirmerie, une école, un hospice et un ouvroir. La supérieure est très intelligente, alerte, de cœur large, compatissante au mal moral comme au mal physique, ambitieuse pour son œuvre dont elle comprend l’utilité, très franche dans ses explications, menant son monde avec entrain, montant, descendant cinquante fois par jour les escaliers de sa maison et portant à la ceinture le trousseau de clefs qui sonne à côté du long chapelet.

L’œuvre est trop pauvre actuellement pour acheter un terrain et y bâtir, élever des constructions appropriées à sa destination ; elle est donc locataire d’une modeste maison qui semble appartenir à une petite ville de province et faite pour abriter un vieux ménage de goûts tranquilles et d’habitudes sédentaires. Balzac y eût volontiers placé un chanoine alourdi par l’âge, ou quelque vieille fille casanière, gardant son chat sur ses genoux, tricotant et murmurant une romance du temps de sa jeunesse. C’est triste, froid, presque délabré; mais les religieuses ont passé par là, et tout, de la cave au grenier, est d’une propreté éclatante. Ce n’est qu’un berceau, passons; il y en eut de plus humbles, à Saint-Servan pour les Petites Sœurs des Pauvres, rue des Postes, pour les aveugles de Saint-Paul. La porte cochère, percée d’un judas grillé, s’est ouverte ; je suis entré dans une petite cour pavée, entourée sur trois côtés par des bâtimens à deux étages ; une sœur blanche et noire est sortie de la loge du portier; j’ai traversé un étroit vestibule; une ancienne salle à manger sert de salle d’attente et communique avec l’ancien salon, qui est devenu le parloir. Tout cela est de dimension restreinte et d’apparence pauvrette ; sur les murailles, en guise d’ornement, deux cartes photographiques représentant le Christ du Guide et la Madone de Carlo Dolci : ces reproductions de peintures molles, dont l’expressive douceur constitue le seul mérite, sont bien à leur place dans cette maison, où la tendresse accueille la débilité.

Sur la table il y a un registre, le registre officiel : ce que la préfecture de police appelle le livre des garnis, délivré, signé, paraphé par le commissaire du quartier, et sur lequel, sous peine de contravention, il faut inscrire le nom, la date d’entrée, la profession, la provenance de toute personne prenant logis dans la maison. Tous les jours, les inspecteurs du service des garnis viennent relever les indications et signer la feuille, qui est la feuille de présence. Cette formalité est indispensable, car la maison est un caravansérail où passent les voyageuses sans asile et dont il peut être nécessaire de connaître les étapes. Sous ce rapport, mais sous ce rapport seulement, la maison est assimilée à celle des logeurs et est