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comment fermer la porte à une femme hâve et harassée qui demande à dormir sous un toit ? Fallait-il la renvoyer à la rue, à l’arche du pont, à l’anfractuosité du vieux mur, au gardien de la paix qui la verra, en faisant sa ronde, la réveillera et la conduira au poste ? On remarquait, en outre, que lorsqu’elle se présentait pour la seconde, pour la troisième fois, elle était plus déguenillée, plus maigre, plus « minable » qu’au premier jour. On en conclut qu’il était humain d’étendre, de prolonger l’hospitalité, et qu’il serait chrétien d’aider celles qui étaient trop affaiblies ou trop découragées pour se sauver elles-mêmes. Des femmes du monde, — et du meilleur, — s’émurent ; elles regardèrent avec commisération vers ces malheureuses que la nécessité rendait haletantes et poussait vers des hasards redoutables ; elles résolurent de leur offrir un asile où elles auraient le droit de séjourner pendant trois mois, ce qui ménageait le loisir de les refaire, de leur enseigner les premiers élémens d’un métier et de leur trouver une condition acceptable. Chacune de ces femmes, dont quelques-unes sont jeunes et jolies, vida sa bourse dans la caisse de l’œuvre qui allait se créer ; on loua une maison au no 39 de la Grande rue d’Auteuil, et pour le reste on s’en rapporta à la Providence ; quant aux pensionnaires, on savait que l’on n’en manquerait pas ; la misère parisienne était là pour en fournir.

La direction de la maison fut confiée aux religieuses de Notre-Dame-du-Calvaire, qu’il ne faut point confondre avec les Dames du Calvaire, infirmières libres des cancérées, dont j’ai parlé ici-même[1] et qui ne forment entre elles qu’une simple association où nul vœu n’est prononcé. La communauté des religieuses de Notre-Dame-du-Calvaire est de date récente. Elle est née en Quercy, dans la petite ville de Gramat, en 1833. L’abbé Bonhomme, qui la suscita, était ardent et d’une infatigable activité ; il avait organisé un collège et fondé une congrégation de prêtres ; cela ne suffit pas à son zèle, et il réunit en congrégation des femmes qui aspiraient à se dévouer aux faibles et aux malheureux. À la fois enseignante, infirmière, hospitalière, accueillant les convalescentes à la sortie de l’hôpital, formant des ouvrières, instruisant des sourdes-muettes[2], cette congrégation n’a rien de contemplatif : elle agit, et gravit sans repos le chemin de la bienfaisance. Elle est partout où l’on souffre, et ne se repose guère. Elle a été choisie avec un rare discernement

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1883.
  2. La maison de Bourg-la-Reine, où Anne Bergunion, quittant la rue des Postes, établit ses jeunes filles aveugles et forma le noyau de la communauté des Sœurs de Saint Paul, est occupée actuellement par des religieuses de la congrégation de Notre-Dame-du-Calvaire, qui y élèvent et y instruisent 200 sourdes-muettes.