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de la conversion du pécheur ; le retour à la vertu est donc possible, mais il me semble que le chemin qui y ramène est long et pénible.


La vertu me paraît comme un temple sacré ;
Si la porte par où l’on sort n’a qu’un degré.
Celle par où l’on rentre en a cent, j’imagine,
Que l’on monte à genoux en frappant sa poitrine.


C’est Émile Augier qui l’a dit et je ne le démentirai pas. Elles ne le démentiront pas non plus, les Sœurs de Marie-Joseph que j’ai vues à l’œuvre dans la prison de Saint-Lazare, ni les religieuses de la Compassion qui vivent près des lits pestiférés de Lourcine. Lorsqu’elle est tombée si bas, une femme ne se redresse plus ; pour toujours elle est la proie du cancer social que l’on ne peut nommer dans aucune langue honnête ; aussi doit-on l’empêcher d’être dévorée par la bête insatiable qui ne lâche pas celles qu’elle a saisies. C’est à quoi l’on tâche ; sur ce terrain où les combattans ne font jamais défaut, la charité soutenue par la foi a livré des batailles héroïques, d’autant plus admirables qu’elles ont été secrètes et qu’elles sont restées inconnues. Après la victoire, le Te Deum a été une action de grâces silencieuse dont le cœur a tressailli et que les lèvres n’ont même pas murmurée.

Pour sauver un homme qui se noie à la mer, il suffit parfois d’un grelin lancé avec adresse ; pour sauver une femme qui se perd, qui va disparaître dans le marécage de la misère et de la démoralisation, il suffit parfois de lui tendre la main, de la mettre à l’abri, de lui donner le temps de reprendre haleine et de raffermir son courage épuisé par une lutte trop longue. De cette idée très simple est née l’Hospitalité du travail, qui est un refuge temporaire où les forces renaissent et où l’avenir s’éclaircit. On avait débuté par établir un de ces dortoirs hospitaliers que l’Angleterre appelle workhouses, que saint Jean de Dieu a fondés le premier à Grenade vers 1545, que nous nommons actuellement l’Hospitalité de nuit, et dont j’aurai bientôt à parler. Chaque soir, on ouvrait la porte aux malheureuses qui venaient réclamer asile ; on leur donnait un lit ; le lendemain, à la première heure, elles s’en allaient ; elles avaient dormi en repos, mais c’était tout ; la diane sonnée, il fallait repartir et recommencer la route décevante où il y a tant de fondrières et si peu d’abris. On avait été obligé de restreindre l’hospitalité, sans cela le dortoir serait devenu la propriété des malheureuses qui, chaque soir, seraient revenues occuper les lits disponibles ; un certain nombre de jours devaient donc s’écouler entre une première et une seconde admission. Fut-on fidèle à cette règle ? J’en doute ;